Mon innocence est ma forteresse

Marquis de Montcalm (1712- 1759).

vendredi 26 février 2010

La pourpre et le noir

Dans la continuité du dernier article du Marquis, cet évènement qui fait couler beaucoup d’encre aux États-Unis : la visite du N°1 de l'épiscopat américain, le cardinal Francis George, à la Brigham Young University de Salt Lake City le 23 février dernier. C'est la première fois qu'un dignitaire de l'Église catholique, membre de la Curie, était invité à s'exprimer dans cette université dépendant de l'Église des Saints des Derniers Jours. Thème du discours: « Catholiques et Saints des Derniers Jours (Latter-day Saints) : partenaires dans la défense de la liberté religieuse. » La rencontre fut un beau succès. Quel dommage que le prélat n’ait pas revêtu sa soutane rouge, c’eut été un très bel effet au milieu des austères costumes sombres des mormons ! Quelque 22 000 étudiants présents dans le centre de conférences ont réservé à leur invité une chaleureuse standing ovation. De quoi était-il question ? Le cardinal George a salué les combats communs des mormons et des catholiques sur les sujets de société tels que l'avortement et le mariage homosexuel, et a revendiqué le droit pour les religions de s'exprimer sur la scène publique.

En Europe, les mormons représentent une minorité, dont on se fait une idée approximative, qui fait du porte-à-porte pour exister. Leur prosélytisme et leur communautarisme sont mal vus sur un continent sécularisé, sauf dans les pays de culture protestante où ils ont pu très tôt s'implanter aux côtés des baptistes et autres quakers. On en trouve parfois sur la place Bellecour à Lyon ou devant les universités parisiennes, cravatés et souriants, distribuant le Livre de Mormon aux passants.

L’histoire des mormons démarre avec Joseph Smith Jr, un jeune homme rangé, qui vivait dans l’Est des États-Unis des années 1820, dans un district sans cesse sillonné par des pasteurs et des prédicateurs, bible à la main, sur fond de réveil religieux évangélique. Dans cette ambiance mystique propice au foisonnement des Églises et des congrégations, Joseph Smith affirme avoir reçu la visite de Jésus ; jusqu’ici, rien ne le différencie des voyants catholiques ou protestants. Mais le jeune prosélyte n’en reste pas là, car le voilà avec des plaques en or gravées dans une langue inconnue, qui lui ont été remises par un messager céleste: le Livre de Mormon, qui complète la Bible. Après sa traduction du texte, Smith en conclut que le Christ s’est rendu en Amérique avant sa naissance en Palestine et qu’il reviendra dans sa gloire sur la véritable terre promise, c’est-à-dire le Missouri. Quant aux Indiens, ils seraient les descendants d’une tribu perdue d’Israël. Certains historiens pensent qu’on aurait donné à Smith le manuscrit d’un roman biblico-ésotérique de 1812, sorte de Dan Brown avant l’heure, intitulé Le Manuscrit retrouvé, et qu’il s’en serait inspiré. Quoi qu’il en soit, le prophète instauré par Dieu rassemble des fidèles en masse et fonde sa communauté en 1838: l’Église des Saints des Derniers jours (Church of the Latter-Day Saints). A cette date, on compte 20 000 fidèles. Bientôt, les pratiques des mormons suscitent l’hostilité des populations locales. On leur reproche notamment la polygamie, suggérée dans l’Ancien Testament, qu’ils pratiquent allègrement. Dès 1832, les habitants de Kirtland, dans l’Ohio, induisent Smith de goudron et de plumes. Ce dernier connaîtra d’ailleurs une fin digne d’un mauvais western, en 1844, déchargeant son revolver face à une foule en furie. Après le lynchage du prophète, les mormons, persécutés, s’exilent dans l’Utah, sous la conduite de son successeur, Brigham Young. Ils y fondent un État avec sa capitale, Salt Lake City. Travailleurs, pieux, ascétiques, accueillants et polygames (Brigham Young avait 27 épouses officielles), les mormons essaiment dans l’Ouest américain. L’Utah devient le bastion du mormonisme, où il est de facto religion d’État depuis 1847.

Pur produit américain, le mormonisme représente 13 millions de fidèles dans le monde, dont la moitié aux États-Unis. Le mormonisme n’est en aucun cas une branche du protestantisme, même s’il lui emprunte des caractéristiques. L'Église mormone est gouvernée par une hiérarchie stricte, avec à son sommet le Président du Collège des Douze Apôtres, successeur du prophète Smith. Les fidèles sont encadrés par des ministres du culte ayant reçu le sacerdoce d'inspiration juive de la prêtrise d'Aaron (l'équivalent du pasteur protestant) et de la prêtrise de Melchisédek (entre le patriarche juif et l'évêque). Les mormons sont tenus de verser une dîme prélevée sur leur salaire à l'Église, de respecter le sabbat et d'accomplir un service missionnaire à l'étranger dans leur jeunesse. Ils se distinguent par leur mode de vie ascétique (pas de tabac, d'alcool, de thé ou de café) ; la polygamie a en revanche été abolie en 1890. La spiritualité de l'Église s'avère très complexe. La Trinité n'est pas l'unité du Père, du Fils et du Saint Esprit, mais la distinction de trois êtres indépendants l'un de l'autre. Il peut d'ailleurs exister plusieurs dieux dans des mondes parallèles. Le baptême, pratiqué par immersion, a été institué par Adam, et non par Jésus: c'est pour cette raison que le Vatican n'a pas reconnu la validité de ce baptême en 2001. Plus on creuse, plus on s'éloigne du christianisme. La naissance est précédé d'un passé extratemporel et lorsqu'un homme meurt, il doit errer dans le monde des esprits pour ensuite être jugé et conduit selon sa sentence dans un paradis inégalitaire, divisé en trois degrés: le téleste, le terrestre et le céleste. Les mormons se donnent beaucoup de mal pour racheter des listes nécrologiques partout dans le monde, afin de "baptiser" les défunts et de leur permettre de rejoindre le meilleur des trois paradis. Enfin, selon la théologie mormone, le judaïsme est cousin du mormonisme et Mahomet aurait reçu « une portion de la lumière divine ». Par conséquent, toute religion monothéiste peut être considérée comme partie intégrante de l'Église.

On le voit, les mormons sont très loin du christianisme. La plupart des évangéliques américains les considèrent d'ailleurs comme une secte hérétique. Que vient donc faire le dialogue presque œcuménique prôné par l'Église catholique ? Stratégie politique, dénoncent les lobbies gays: les catholiques veulent s'appuyer sur les mormons pour combattre l'instauration du mariage homosexuel, qui se profile à l'horizon des États-Unis. C'est un fait, la vision mormone sur la bioéthique et l'homosexualité est identique à celle du Saint-Siège: un respect de la vie humaine dès la conception et un accueil et un amour des personnes sans être d'accord avec les pratiques homosexuelles et les revendications communautaires de certains militants. Comme les prêtres de Melchisédek, les évêques sont anglo-saxons, donc pragmatiques: en Californie, mormons et catholiques se sont retrouvés côte à côte pour manifester contre le mariage homosexuel légalisé dans cet État (et depuis interdit par référendum). Dans la mesure où les deux camps défendent des positions communes, pourquoi ne pas s'entendre ? Le poids financier des mormons sera-t-il conjugué à l'influence de l'Église catholique dans une lutte commune ? Nous n'en sommes pas encore là, mais un futur proche pourrait bien accélérer le rapprochement des Églises. L'objectif de défense de valeurs partagées est plus que louable. Attention toutefois aux catholiques de flirter outre mesure avec des chrétiens qui n'en sont pas.

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