Mon innocence est ma forteresse

Marquis de Montcalm (1712- 1759).

vendredi 26 février 2010

La pourpre et le noir

Dans la continuité du dernier article du Marquis, cet évènement qui fait couler beaucoup d’encre aux États-Unis : la visite du N°1 de l'épiscopat américain, le cardinal Francis George, à la Brigham Young University de Salt Lake City le 23 février dernier. C'est la première fois qu'un dignitaire de l'Église catholique, membre de la Curie, était invité à s'exprimer dans cette université dépendant de l'Église des Saints des Derniers Jours. Thème du discours: « Catholiques et Saints des Derniers Jours (Latter-day Saints) : partenaires dans la défense de la liberté religieuse. » La rencontre fut un beau succès. Quel dommage que le prélat n’ait pas revêtu sa soutane rouge, c’eut été un très bel effet au milieu des austères costumes sombres des mormons ! Quelque 22 000 étudiants présents dans le centre de conférences ont réservé à leur invité une chaleureuse standing ovation. De quoi était-il question ? Le cardinal George a salué les combats communs des mormons et des catholiques sur les sujets de société tels que l'avortement et le mariage homosexuel, et a revendiqué le droit pour les religions de s'exprimer sur la scène publique.

En Europe, les mormons représentent une minorité, dont on se fait une idée approximative, qui fait du porte-à-porte pour exister. Leur prosélytisme et leur communautarisme sont mal vus sur un continent sécularisé, sauf dans les pays de culture protestante où ils ont pu très tôt s'implanter aux côtés des baptistes et autres quakers. On en trouve parfois sur la place Bellecour à Lyon ou devant les universités parisiennes, cravatés et souriants, distribuant le Livre de Mormon aux passants.

L’histoire des mormons démarre avec Joseph Smith Jr, un jeune homme rangé, qui vivait dans l’Est des États-Unis des années 1820, dans un district sans cesse sillonné par des pasteurs et des prédicateurs, bible à la main, sur fond de réveil religieux évangélique. Dans cette ambiance mystique propice au foisonnement des Églises et des congrégations, Joseph Smith affirme avoir reçu la visite de Jésus ; jusqu’ici, rien ne le différencie des voyants catholiques ou protestants. Mais le jeune prosélyte n’en reste pas là, car le voilà avec des plaques en or gravées dans une langue inconnue, qui lui ont été remises par un messager céleste: le Livre de Mormon, qui complète la Bible. Après sa traduction du texte, Smith en conclut que le Christ s’est rendu en Amérique avant sa naissance en Palestine et qu’il reviendra dans sa gloire sur la véritable terre promise, c’est-à-dire le Missouri. Quant aux Indiens, ils seraient les descendants d’une tribu perdue d’Israël. Certains historiens pensent qu’on aurait donné à Smith le manuscrit d’un roman biblico-ésotérique de 1812, sorte de Dan Brown avant l’heure, intitulé Le Manuscrit retrouvé, et qu’il s’en serait inspiré. Quoi qu’il en soit, le prophète instauré par Dieu rassemble des fidèles en masse et fonde sa communauté en 1838: l’Église des Saints des Derniers jours (Church of the Latter-Day Saints). A cette date, on compte 20 000 fidèles. Bientôt, les pratiques des mormons suscitent l’hostilité des populations locales. On leur reproche notamment la polygamie, suggérée dans l’Ancien Testament, qu’ils pratiquent allègrement. Dès 1832, les habitants de Kirtland, dans l’Ohio, induisent Smith de goudron et de plumes. Ce dernier connaîtra d’ailleurs une fin digne d’un mauvais western, en 1844, déchargeant son revolver face à une foule en furie. Après le lynchage du prophète, les mormons, persécutés, s’exilent dans l’Utah, sous la conduite de son successeur, Brigham Young. Ils y fondent un État avec sa capitale, Salt Lake City. Travailleurs, pieux, ascétiques, accueillants et polygames (Brigham Young avait 27 épouses officielles), les mormons essaiment dans l’Ouest américain. L’Utah devient le bastion du mormonisme, où il est de facto religion d’État depuis 1847.

Pur produit américain, le mormonisme représente 13 millions de fidèles dans le monde, dont la moitié aux États-Unis. Le mormonisme n’est en aucun cas une branche du protestantisme, même s’il lui emprunte des caractéristiques. L'Église mormone est gouvernée par une hiérarchie stricte, avec à son sommet le Président du Collège des Douze Apôtres, successeur du prophète Smith. Les fidèles sont encadrés par des ministres du culte ayant reçu le sacerdoce d'inspiration juive de la prêtrise d'Aaron (l'équivalent du pasteur protestant) et de la prêtrise de Melchisédek (entre le patriarche juif et l'évêque). Les mormons sont tenus de verser une dîme prélevée sur leur salaire à l'Église, de respecter le sabbat et d'accomplir un service missionnaire à l'étranger dans leur jeunesse. Ils se distinguent par leur mode de vie ascétique (pas de tabac, d'alcool, de thé ou de café) ; la polygamie a en revanche été abolie en 1890. La spiritualité de l'Église s'avère très complexe. La Trinité n'est pas l'unité du Père, du Fils et du Saint Esprit, mais la distinction de trois êtres indépendants l'un de l'autre. Il peut d'ailleurs exister plusieurs dieux dans des mondes parallèles. Le baptême, pratiqué par immersion, a été institué par Adam, et non par Jésus: c'est pour cette raison que le Vatican n'a pas reconnu la validité de ce baptême en 2001. Plus on creuse, plus on s'éloigne du christianisme. La naissance est précédé d'un passé extratemporel et lorsqu'un homme meurt, il doit errer dans le monde des esprits pour ensuite être jugé et conduit selon sa sentence dans un paradis inégalitaire, divisé en trois degrés: le téleste, le terrestre et le céleste. Les mormons se donnent beaucoup de mal pour racheter des listes nécrologiques partout dans le monde, afin de "baptiser" les défunts et de leur permettre de rejoindre le meilleur des trois paradis. Enfin, selon la théologie mormone, le judaïsme est cousin du mormonisme et Mahomet aurait reçu « une portion de la lumière divine ». Par conséquent, toute religion monothéiste peut être considérée comme partie intégrante de l'Église.

On le voit, les mormons sont très loin du christianisme. La plupart des évangéliques américains les considèrent d'ailleurs comme une secte hérétique. Que vient donc faire le dialogue presque œcuménique prôné par l'Église catholique ? Stratégie politique, dénoncent les lobbies gays: les catholiques veulent s'appuyer sur les mormons pour combattre l'instauration du mariage homosexuel, qui se profile à l'horizon des États-Unis. C'est un fait, la vision mormone sur la bioéthique et l'homosexualité est identique à celle du Saint-Siège: un respect de la vie humaine dès la conception et un accueil et un amour des personnes sans être d'accord avec les pratiques homosexuelles et les revendications communautaires de certains militants. Comme les prêtres de Melchisédek, les évêques sont anglo-saxons, donc pragmatiques: en Californie, mormons et catholiques se sont retrouvés côte à côte pour manifester contre le mariage homosexuel légalisé dans cet État (et depuis interdit par référendum). Dans la mesure où les deux camps défendent des positions communes, pourquoi ne pas s'entendre ? Le poids financier des mormons sera-t-il conjugué à l'influence de l'Église catholique dans une lutte commune ? Nous n'en sommes pas encore là, mais un futur proche pourrait bien accélérer le rapprochement des Églises. L'objectif de défense de valeurs partagées est plus que louable. Attention toutefois aux catholiques de flirter outre mesure avec des chrétiens qui n'en sont pas.

dimanche 21 février 2010

La revanche des papistes


Chaque année en Amérique du Nord paraît le Yearbook of American and Canadian Churches, un ouvrage dirigé par le pasteur Eileen W. Linder qui offre des statistiques sur toutes les communautés chrétiennes. Ce qui a fait la notoriété de l'édition 2010, c'est son constat de la progression de l'Église catholique aux États-Unis, première dénomination chrétienne avec 68,1 millions de membres. Enregistrant une progression de 1,49 % entre 2008 et 2009, elle dépasse largement les deux premières Églises protestantes, la Southern Baptist Convention (16 millions de membres) et la United Methodist Church (7,6 millions). Les Églises luthérienne (Evangelical Lutheran Church - 4,6 millions) et presbytérienne (Presbyterian Church - 2,8 millions) enregistrent une forte baisse respectivement de 2 % et 3,3 %. En revanche, les mormons, connu pour leur prosélytisme agressif, voient grossir leurs effectifs: l'Église des Saints des Derniers Jours, qui compte 5,9 millions de membres, a progressé de près de 2 %. A noter que le rapport ne tient pas compte des anglicans (2 millions) ni des évangéliques, dont le nombre est estimé à 80 millions aux États-Unis. Ces derniers, divisés en une multitude de communautés de taille variable éparpillées dans tout le pays, n'offrent pas d'Églises établies suffisamment grandes pour être répertoriés, à l'exception de la congrégation pentecôtiste des Assemblies of God (3 millions), qui a progressé de 1,27 %. Les États-Unis demeurent une nation majoritairement protestante (53 %) ; solidement implantés dans la Bible Belt, la ceinture biblique qui court du Texas au Middle-West, les baptistes américains sont à la pointe de la montée du religieux démonstratif. Dans l'Ouest, des régions entières sont exclusivement protestantes. Mais la progression de l'Église catholique est une belle revanche sur l'histoire. Présents dès l'Indépendance, les catholiques ne représentaient au début du XIXe siècle qu'une communauté minuscule noyée dans un océan d'Églises et de sectes protestantes. Encadrée par un clergé français (le futur archevêque de Bordeaux, Mgr de Cheverus, chassé par la Révolution, fonda le diocèse de Boston en 1803), elle manifestait déjà beaucoup de vigueur, comme Tocqueville le constate lors de son célèbre voyage aux États-Unis. Mais ce fut par les vagues successives d'immigrations irlandaise, bavaroise, polonaise et italienne que le catholicisme s'implanta durablement, suscitant un terrible sentiment anticatholique parmi les populations de la Nouvelle-Angleterre. Il s'agissait de combattre l'invasion des "romains" sur le sol protestant. Des émeutes, comme la mise à sac de couvents à Boston, mais surtout des générations de préjugés s'ensuivirent. Jusqu'à l'élection de John F. Kennedy, la religion catholique était perçue comme une menace étrangère, téléguidée par le pape, pour nuire à la République. Les fondamentalistes de 2010 et de nombreux Bible christians sont les héritiers de cette tradition antipapiste, qui remonte à la création d'une vaste littérature, véritable "pornographie anticatholique", rédigée par les pasteurs méthodistes canadiens contre l'ennemi québécois catholique dans les années 1830, accusant les moines de Québec des pires sévices sexuels.

Le Canada, justement, offre aujourd'hui un paysage plus contrasté. Les Canadiens sont moins religie
ux et moins pratiquants que les Américains, mais font plus mention de la foi chrétienne que les Européens. Depuis le milieu du XXe siècle, la majorité des habitants du pays de l'érable sont catholiques (44 %), contre 30 % de protestants. Entre 1991 et 2001, l'Église catholique a progressé d'environ 5 % tandis que les protestants ont baissé de 8 %. A noter que le Canada compte une proportion d'athées supérieure aux États-Unis: 16 % contre 10 %. Ici aussi, revanche historique de la religion catholique, installée à Québec par les Français et discriminée pendant des siècles par la Couronne anglaise et la population réformée. Il ne faisait alors pas bon pour un papiste (français québécois, de surcroît) de se rendre à Toronto au XIXe siècle, la "Rome protestante" de l'époque. De nos jours, des fondamentalistes presbytériens de l'État de l'Ontario ont recrée au Canada l'Ordre d'Orange, franc-maçonnerie protestante d'Irlande du Nord qui combat les catholiques, et multiplient les sarcasmes et les provocations. Mais si les Québécois, à la suite des bouleversements des années 1960-1970, ont massivement abandonné la religion catholique, les autres Canadiens l'adoptent !
L'Église unie du Canada, principale dénomination protestante du pays, a accepté très tôt les femmes pasteurs et les mariages homosexuels. L'Église anglicane canadienne s'est engagée dans cette même voie libérale en ordonnant des prêtres ouvertement homosexuels. De l'autre côté de la frontière, les anglicans américains sont allé plus loin: l'évêque du New Hampshire Gene Robinson, élu en 2003, est devenu le symbole dans le monde protestant du libéralisme exacerbé choisi par certaines Églises occidentales. Mgr Robinson vit en effet avec un homme et affirme à ses paroissiens bien avant Elton John que Jésus "aurait pu être homosexuel". Déclaré hérétique par la majorité des chrétiens américains, l'évêque-militant gay a provoqué un schisme dans la Communion anglicane, les Églises africaines se désolidarisant de ces dérives. L'archevêque anglican du Nigeria, Mgr Peter Anikola a même envoyé des missionnaires aux États-Unis pour encadrer les brebis égarées ! Sociologiquement perçue comme l'Église des snobs et de la bonne société, ouverte au relativisme et aux nouvelles normes sociétales, l'Église anglicane "épiscopalienne" américaine se dirige vers la porte de sortie, sur fond de conversions de nombreux prêtres et évêques au catholicisme, tel Mgr Jeffrey Steenson, ex-évêque du Rio Grande devenu catholique en 2007 après une nouvelle décision libérale du synode anglican: "c'était la goutte d'eau qui a fait déborder le vase" (the straw that broke the camel's back)...

C'est une des leçons de ce rapport: acculés à la diminution dangereuse de leurs fidèles, les Églises protestantes nord-américaines historiques (mainlines) croient pouvoir échapper au déclin en se modernisant et en se libéralisant. C'est le choix des anglicans, mais aussi des luthériens, qui se sont prononcés en août 2009 pour le mariage gay, provoquant également un schisme au sein de leur Église. Mais cette issue ne fait qu'encourager la désaffection de leurs membres au profit de l'Église catholique et des évangéliques, qui restent fidèles aux valeurs traditionnelles. Le président de la Catholic league, Bill Donohue, observe: « Plus une religion cherche à être “adaptée” au monde, plus elle devient inadaptée. Il semble que tout le monde le sache, sauf les libéraux. C’est (...) une sale nouvelle pour les adeptes de la religion version allégée. Ce n’est pas dont réchauffement climatique dont ils devraient avoir la trouille, mais de leur propre décès. »

samedi 20 février 2010

Les promesses du désastre


Un mois après le terrible séisme qui a ensanglanté l'île d'Haïti (plus de 270 000 morts), le président français Nicolas Sarkozy s'est rendu le 17 février dans la capitale, Port-au-Prince, pour une visite-éclair de quatre heures. Les médias ont souligné l'importance de cette première visite d'un président français sur le sol de cette ancienne colonie. Partageant une langue commune, la France n'a pourtant plus les moyens d'imposer son influence. Les premiers sur place furent les soldats américains, envoyés par Obama pour disperser les pillards mais aussi pour consacrer la prépondérance des États-Unis sur l'île. Le premier personnage que le Premier ministre haïtien appela au secours fut son homologue canadien Stephen Harper. La France a tout cédé aux puissances anglo-saxonnes, même sur le plan de la diaspora, dans un pays qui vit aux crochets de ses exilés: 60 000 Haïtiens vivent en France, contre 2,5 millions aux États-Unis et au Canada.
Mais cette situation n'a pas empêché le président de faire entendre la voix de la France, davantage humanitaire que politique. Contemplant l'étendue de la tragédie, le chef de l'État a multiplié les promesses. Le plan d'aide français est généreux: formation de fonctionnaires, policiers, pompiers,médecins ; fourniture de 1000 tentes en prévision de la prochaine saison des pluies, reconstruction de l'hôpital de la capitale... En tout, 325 millions d'euros d'aide, dont l'annulation exceptionnelle de la dette bilatérale (56 millions). La France le devait bien aux Haïtiens. Entouré d'anciens colons revanchards, Charles X exigea d'Haïti en 1825 la somme folle de 150 millions de francs-or pour reconnaître son indépendance et indemniser les planteurs chassés par la révolte des Noirs. La jeune République, déjà saignée, paya scrupuleusement cette dette jusqu'en 1883.

Divisée entre une partie française (l'actuel Haïti) et une partie espagnole (l'actuelle République dominicaine), Saint-Domingue était depuis 1627 la plus prospère colonie française et le point d'appui du royaume dans les Antilles. S'y développe un véritable empire de la canne à sucre, alimenté par la traite des Noirs et un esclavage particulièrement brutal: à la veille de la Révolution, on compte 400 000 esclaves pour 30 000 colons. Tous les historiens confirment qu'à cette date, la machine à exploiter l'homme s'est emballée. Lorsque la Bastille est prise, les colons sont majoritairement pro-révolutionnaires pour accroître leurs prérogatives, mais il est hors de question pour eux d'abolir l'esclavage. Tandis qu'en France, les évènements se précipitent, la surveillance se relâche, et le 14 août 1791, les esclaves se révoltent, balayant tout sur leur passage. Paradoxalement, c'est de
Louis XVI qu'ils se réclament, le "bon roi" ayant promis, paraît-il, d'abolir l'esclavage. Mais lorsque ce dernier est déchu et exécuté, le 21 janvier 1793, le régiment du Cap-Français et le gouverneur, fraîchement nommé par le roi, se dressent contre l'envoyé de la République Sonthonax, lequel riposte en promettant la liberté à tout esclave se battant pour la Convention. Le résultat est immédiat: la colonie tombe aux mains des bandes insurgées, des milliers de colons sont massacrés (le signe de ralliement des esclaves est alors un nourrisson blanc empalé) et dix mille s'exilent aux États-Unis ou en Jamaïque sous le regard des Anglais, qui en profitent pour tenter de s'emparer de l'île. Pour fidéliser les insurgés, l'abolition de l'esclavage est décrétée par la République en 1794. De cette catastrophe, un esclave affranchi révolté, Toussaint Breda (puis Toussaint Louverture) se fit reconnaître comme général par la Convention, pris le contrôle de la masse des Noirs, repoussa les Anglais et établit son autorité sur la colonie en 1798, puis sur toute l'île en 1801. Théoriquement, il obéit à la France, mais sur place, règne en maître sur l'ancienne perle des Antilles. Lorsque Bonaparte rétablit l'esclavage dans les colonies, Toussaint Louverture se révolte à nouveau. Le Premier Consul envoie alors le général Leclerc et 30 000 hommes pour reconquérir l'île. Louverture est arrêté et déporté en France au fort de Joux, où il meurt en 1803, mais les Français sont décimés par la guérilla des Noirs et les maladies tropicales. En 1804, les dernières troupes quittent la colonie, qui proclame son indépendance. Après le départ des Français, le sanguinaire Jean-Jacques Dessalines (futur empereur autoproclamé de l'île) ordonne le massacre de la population blanche survivante, à l'exception des prêtres. Au poids cruel de l'esclavage avait répondu la violence incontrôlée des Noirs.

La visite présidentielle ne pouvait pas échapper à ce poids du passé. Dans le jardin dévasté de l'ambassade de France, au milieu des vrombissements des hélicoptères américains et des réfugiés, Nicolas Sarkozy,
évoque, pour une des premières fois, l'histoire de France. "Les blessures de la colonisation, et, peut-être pire encore, les conditions de la séparation ont laissé des traces. (...) Même si je n'avais pas commencé mon mandat au moment de Charles X, j'en suis quand même responsable au nom de la France." Cette déclaration est intéressante. Rares sont les occasions où un président républicain assume ce que les rois ont laissé, pour le meilleur et pour le pire. De toute manière, dans l'esprit des Haïtiens, le président de la République est la continuité historique du roi de France. De Gaulle ne voyait-il pas la Ve République comme la "synthèse" de la monarchie et de la Révolution ? Régulièrement accusé de brader l'héritage du Général, Sarkozy se trouve enfin des accents gaulliens: "le peuple haïtien est meurtri, le peuple haïtien est épuisé, mais le peuple haïtien est debout."

Cependant, contrairement aux lobbies communautaristes noirs parisiens, les Haïtiens ne réclament pas de la France demandes de pardon et actes de repentance. Cité dans Le Monde, le président haïtien René Préval, se concentre sur l'essentiel:

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"L'histoire, c'est l'histoire et les colonisations ont été un phénomène mondial. Depuis l'indépendance, nous avons, politiquement, psychologiquement, surmonté cette période difficile (...) Le pays n'est pas à reconstruire. Il est à construire. "

Il est dommage qu'il ait fallu un séisme pour en arriver à cette conclusion.

vendredi 19 février 2010

Clarifications

Qui ose gagne ! Pour s'être élevé contre les «gays laws», cette loi britannique contre les discriminations contenant un amendement visant à contraindre l'embauche de personnes homosexuelles ou transsexuelles, le pape Benoît XVI a été traîné dans la boue dans les médias anglais, déjà échauffés par la récente porte ouverte par l'Église catholique aux anglicans en rupture avec le synode de Canterbury, perçue comme une ingérence étrangère. Il n'empêche: la fameuse loi n'a finalement pas été votée. Son amendement a été repoussé par la Chambre des Lords. Commentaire de La Croix:
" (...) dès mai 2009, l’Église catholique de ce pays tirait la sonnette d’alarme, craignant que ce texte ne concerne des postes comme les « personnes travaillant auprès des jeunes dans les paroisses, les membres des équipes de préparation au mariage, les secrétaires de paroisse ». (...) Harriet Harman, le ministre qui est en charge de cette loi, avait affirmé immédiatement qu’elle n’allait probablement pas réintroduire l’article dans la lecture à la Chambre des communes. Vendredi 5 février, elle a confirmé : « Nous pensions qu’il était utile de clarifier la loi et c’est ce que l’amendement proposé voulait faire. L’amendement a été rejeté. Donc, la loi reste telle qu’elle est. » "
C'est un désaveu pour le gouvernement travailliste, qui portait le projet, en surfant sur la vague de revendications politiquement correcte et transgender qui déferle depuis des années sur le Royaume-Uni. Le Saint-Siège peut se féliciter de voir sa capacité de donner de la voix, y compris dans un pays où l'Église catholique est minoritaire. A vrai dire, les opposants de cette loi n'attendaient pas vraiment que le pape vole à leur secours. Ils attendaient plutôt une riposte de la part de l'opposition conservatrice, dont le si distingué David Cameron est le chef de file et candidat pour la General election pressentie en mai 2010. Pour l'aile traditionnelle du parti Tory, c'était même l'occasion de tester la capacité de leur champion à défendre les thèmes de société. Ils n'ont pas été déçu. Créature médiatique, passant bien dans les médias, David Cameron jonglait depuis des mois entre des professions de foi contradictoires à la ligne conservatrice officielle et aux revendications à la mode, le tout en cherchant à s'attirer les grâces du lobby homosexuel britannique, très méfiant à juste titre vis-à-vis d'un ancien défenseur de la législation anti-homosexuelle de Margaret Thatcher. Il a fini par choisir son camp ; dans une interview accordé au magazine gay Attitude, il s'est prononcé en faveur des lois sur la discrimination positive. Pour appuyer son plaidoyer, il a, tout comme Benoît XVI, fait appel à des arguments religieux:

" I think..... [long pause] that if our Lord Jesus was around today he would very much be backing a strong agenda on equality and equal rights, and not judging people on their sexuality. "

Jésus, de retour sur Terre en 2010, voterai Tory ? Petit-neveu d'un évêque, Mr Cameron se présente comme un anglican pratiquant. On peut se demander ce que signifie "pratiquant" dans une Grande-Bretagne où le culte de l'Église d'État rassemble de moins en moins de fidèles. Néanmoins, la politique anglo-saxonne reste imprégnée de références religieuses, qui servent de repères communs. L'hymne officieux de l'Angleterre, Jerusalem, chanté en cœur à Hyde Park chaque réveillon par une foule émue, raconte même une visite inopinée du Christ dans les verts pâturages du Sussex. Alors, utiliser Jésus, même pour bénir les Gay pride, cela semble logique.

Le leader conservateur a raison lorsqu'il souligne que la religion chrétienne ne juge pas les personnes, qu'elle les accueille et qu'elle les aime comme des êtres uniques et indispensables. Mais entre le rappeler et s'en servir comme arme politique, il y a une limite à ne pas franchir.

Le pape défend la loi naturelle. David Cameron veut se faire élire. Chacun est dans son rôle ; tout est plus clair à présent.

dimanche 14 février 2010

Comment faire réélire un bonimenteur

Connaissez-vous George Frêche ? Massif, la cravate lissée, la bedaine énorme et le pommeau de canne luisant, c'est le président de la région du Languedoc-Roussillon. Il doit sa célébrité médiatique à ses goûts architecturaux très idéologiques, lorsque, maire de Montpellier, il a confisqué le mess des officiers de la garnison par antimilitarisme, subventionné le temple maçonnique local à la hauteur de 500 000 euros par clientélisme et racheté une statue de Lénine par caprice, et ses dérapages verbaux, pour avoir traité les Harkis de sous-hommes et confondu les luthériens avec les nazis, entre autres. Aujourd'hui, c'est à son collègue Laurent Fabius et à sa "tronche pas catholique" qu'il s'en prend. Tollé. On en oublie le drame haïtien. Les dignitaires du PS, l'ancien parti de Frêche, se désolidarisent vigoureusement de leur ex-camarade, et le voilà en tournée médiatique à quelques semaines de sa réélection au Conseil régional.

Pour les médias parisiens, George Frêche est l'image parfaite qu'ils se font du français moyen, dont ils ont une image méprisante. Il parle dans un accent provincial, aime la bonne chère, fait preuve d'une mauvaise foi totale, ronchonne, se dit catholique mais critique le pape sur l'IVG etc. En plus, il fait vendre du papier, c'est
un bon client. Mais Frêche est surtout un dinosaure. Il appartient à une génération de la politique disparue, celle des notables de province têtus et forts en gueule qui montaient à Paris pour transposer l'ambiance des bistros au Palais Bourbon. Une génération qui multipliait les bons mots, les insultes et les attaques ad honimen. Bolchévik, voyou, fasciste, nazi, ennemi du peuple, clérical, jésuite... Tout était permis. A cette époque, la haine du curé dans la bouche des parlementaires était beaucoup plus violente que ce qu'on appelle les dérapages verbaux d'aujourd'hui. Dans notre société qu'on veut sans taches, où les médias traquent la moindre phrase politiquement incorrecte, Jaurès, Daudet, Thorez ou Duclos se seraient perdus. Le Pen, lui, s'en amuse et joue avec, avec les résultats que l'on connaît. Quant à Frêche , il a rapidement perçu l'intérêt de cette situation: attirer l'attention de ses électeurs locaux en se faisant passer pour le martyr d'une capitale lointaine et déconnectée de la réalité. Le journal La Tribune publiait en ce sens un article consacré au l'autoproclamé gaulois résistant à l'envahisseur parisien.

" Mis au banc du PS et de la classe politique après sa sortie douteuse sur la « tronche pas catholique » de Laurent Fabius, l'ancien maire de Montpellier est visiblement content de perturber son monde et d'ébranler les certitudes de la classe politico-médiatique. « Il a réussi à plonger les bobos de Paris dans un état de surexcitation proche de l'apoplexie », estimait, jeudi dans Le Figaro, le philosophe et ancien ministre de l'Éducation Luc Ferry.

Antiparisianisme, bon sens populaire face au politiquement correct des élites, solide bilan d'élu local : les clés du succès de Frêche sont rustiques mais efficaces. À vrai dire, il n'est pas le premier à jouer la carte de la proximité avec ses électeurs pour se maintenir aux affaires face à une tempête médiatique. C'est presque devenu un classique de notre vie politique.

Avant de finir sa vie à Punta del Este en Uruguay, Jacques Médecin a mené une belle carrière politique qui l'a conduit au gouvernement sous Valéry Giscard d'Estaing tout en faisant régulièrement l'objet de soupçons et d'enquêtes de la justice.

Après avoir succédé à son père à la mairie de Nice en 1966, il a constamment été réélu ? et largement ? à ce poste jusqu'en...1990. Preuve que les électeurs niçois ne lui tenaient pas outre mesure rigueur des soupçons d'affairisme qui pesaient sur lui. Même après sa démission forcée en 1990, pour cause de condamnation, Médecin a toujours conservé de nombreux supporters dans sa ville et son département des Alpes-Maritimes, qui cultive, il est vrai, un particularisme historique face à Paris.

Les ennuis judiciaires n'ont jamais rebuté les électeurs lorsque leur élu s'affirme proche de leurs préoccupations. Ainsi, à Levallois-Perret, le sulfureux Patrick Balkany a pu reprendre sans problème les clés de la mairie aux élections de 2001 après une condamnation et une inéligibilité pour prise illégale d'intérêt. Comme l'ex-socialiste Frêche, le sarkozyste Balkany sait se rendre indispensable sur le terrain et ne répugne jamais à distribuer les poignées de main. Visiblement, peu importe aux Levalloisiens que les médias nationaux n'apprécient guère son attitude arrogante et son style parvenu. "

Au fait, pourquoi toute cette agitation médiatique autour du mot "catholique" ? Frêche dit qu'il est catholique et qu'il respecte le Saint-Père. Est-il un marxiste franchouillard, donc chrétien, à l'image de sa génération socialiste des années 60 ou est-ce encore une hypocrisie, comme beaucoup le pensent ? Fabuis, lui, est d'origine juive. Les organisations antiracistes de tout poil ont donc cru voir derrière cette dernière saillie un supposé antisémitisme. En réalité, Georges Frêche est un philosémite décomplexé, qui a applaudi la guerre israélienne contre le Liban. Beaucoup seraient étonné de lire ce communiqué très officiel de la Ligue de défense juive, qui n'est rien d'autre qu'une milice de gros bras qui prétend assurer la sécurité des quartiers israélites:
"La LDJ soutient Georges Frêche ami fidèle du peuple juif et d’Israël depuis de nombreuses années face à un Fabius qui a choisi de renier son judaïsme et que nous n’avons jamais vu dans une seule manifestation de soutien à Israël depuis 40 ans ."
Expulsé du bureau national et du conseil national du Parti socialiste en 2006, il reste pourtant un pilier de la fédération des Bouches-du-Rhône. Il va s'imposer comme un soutien vital pour l'élection de Ségolène Royal au poste de premier secrétaire national du PS, l'âme damnée de la candidate Vincent Peillon s'activant à prendre la défense de Georges Frêche et à nier les accusations portées contre lui. Le même Peillon ira plus tard courageusement boycotter une émission télévisée avec Marine Le Pen pour prétendre à un brevet d'anti-racisme, rentrant ainsi sagement à la maison du politiquement correct. Il n'avait pas le choix. Contrairement à Frêche et son ancrage local, hors de la petite bulle bobo urbaine, les Iznogouds médiatiques du PS n'existent pas.

Bien campé sur ses terres, le baron vieillissant et menacé de disparition a su relancer sa campagne en un rien de temps. Dans cette affaire, la réaction outragée des médias et de la classe politique lui a été d'un grand secours. Comme l'expliquait Georges Frêche au magazine Le Point: « tout cela est d’une facilité déconcertante ».