Mon innocence est ma forteresse

Marquis de Montcalm (1712- 1759).

samedi 6 février 2010

Benoit XVI à Westminster

En Angleterre, le Parlement de Westminster qui siège à Londres sur les rives de la Tamise, est le berceau de la tradition britannique de la liberté d'expression et de l'échange des vues. Chaque semaine, le Premier ministre doit faire face aux questions que lui pose le chef de l'opposition. Le Question time est une institution en Grande-Bretagne, et les débats sont en général vifs et incisifs, mais courtois. C'est dans ce temple de l'éloquence où l'on se prépare à voter l'Equality Bill, une loi sur l'égalité des chances qui vise à contraindre l'embauche des personnes homosexuelles ou transsexuelles, que le pape s'est invité. Le 4 février, Benoît XVI, qui recevait les évêques anglais et gallois lors de leur visite ad Limina au Vatican, leur a fait part de son hostilité au projet de loi: «...Votre pays est bien connu pour son engagement résolu à assurer l'égalité des chances pour tous les membres de la société. Cependant (...) l'effet d'une certaine disposition législative pour atteindre cet objectif a été d'imposer dans les communautés religieuses des restrictions injustes à la liberté d'agir selon ses propres croyances. A certains égards, elle viole réellement le droit naturel sur lequel se fonde l'égalité de tous les êtres humains et par lequel celle-ci est garantie. » Le lendemain, devant les membres de la Conférence épiscopale d'Écosse, le pape condamne à nouveau les prochains projets de loi du gouvernement : « L'appui à l'euthanasie heurte au plus profond la conception chrétienne de la vie et de la dignité humaine. » Ces propos qui interviennent juste après l'annonce de la visite papale en Grande-Bretagne en septembre prochain ont déclenché la fureur des médias outre-Manche, où la cathophobie est une valeur partagée dans la presse. Benoît XVI est accusé par le puissant lobby LGBT britannique, entre autres, de discriminer les personnes homosexuelles. L'influente société athée de l'île, la National secular society, est sur le pied de guerre. D'autres voix s'élèvent contre l'ingérence «romaine» dans la vie politique de Grande-Bretagne. Le pape pose pourtant les bonnes questions à une nation gagnée par la sécularisation: « Quand une partie aussi considérable de la population se dit chrétienne, comment peut-on mettre en cause le droit de l'Évangile à être entendu?... ». L'Église a une position constante sur l'homosexualité, qui est l'amour du pécheur et non celui du péché. Elle ne condamne pas les personnes, mais désapprouve les pratiques homosexuelles. Elle ne rejette pas les individus mais estime que le mariage doit être réservé à l'union d'un homme et d'une femme. Mais même dans le paradis des libertés qu'est l'Angleterre, la fidélité à son message ou sa conscience a un prix. Chancelier du roi, Thomas More fut exécuté pour avoir refusé la rupture avec Rome lors de la Réforme anglicane.

Le discours de Benoît XVI aux évêques anglais tombait trois jours après la fête de St Henry Morse, pendu, écartelé et brûlé à Tyburn en 1645 parce que prêtre catholique. L’établissement de l'Église d’Angleterre s’est fait dans le sang des martyrs. Pendant des siècles, la persécution et les guerres successives ont ancré un profond sentiment anticatholique, ce qui explique les flambées antipapistes dans certains médias. Le cardinal John Henry Newman, la messe de béatification sera présidée par le pape lors de sa visite au Royaume-Uni, avait été pasteur protestant avant de se convertir au catholicisme et sa « sécession », véritable trahison nationale, avait fait l’objet d’une note méprisante dans une feuille de chou de l’Angleterre victorienne. L'Église catholique demeure une minorité parmi tant d'autres dans une société culturellement protestante. Elle compte néanmoins cinq millions de membres, dont plus d'un million de pratiquants réguliers. Parmi eux, beaucoup de Polonais, Africains, Irlandais et Français. Pour la première fois depuis le XVIe siècle, les catholiques sont plus nombreux que les anglicans à se rendre à l'office. L'Église est redevenue un acteur incontournable de la vie publique, et de fait, sa voix porte davantage que les multiples autres communautés protestantes, très divisées. A l’été 2008, les parlementaires et évêques catholiques ont été les seuls à combattre la loi autorisant la création d’hybrides homme-animal des fins de recherche (Embryology Bill). L'énergique primat d'Angleterre, Mgr Vincent Nichols, nommé en 2009 par Benoît XVI, est aujourd'hui le fer de lance contre le nouveau projet de loi. En effet, si l'Equality Bill est voté, les Églises britanniques seront contraintes d'embaucher des personnes homosexuelles et transsexuelles parmi leur personnel: les écoles, où l'enseignement confessionnel est reconnu, sont en première ligne.

En face, l'Église anglicane (Church of England) a beau être religion d'État, elle est en crise grave depuis les années 1970. Son clergé, sous la pression des politiques, a pris des décisions contraires à la tradition et la morale chrétiennes pour suivre les évolutions de la société. Entre 1992 et 2008, le synode anglican a admis des homosexuels déclarés puis des femmes comme prêtres et évêques. Résultat: les fidèles s'enfuient à toutes jambes et un schisme s'est produit entre les Églises anglicanes occidentales et les Églises anglicanes africaines et indiennes, qui refusent ces dérives. A l'intérieur même du Royaume-Uni, les paroisses sont divisées entre les différentes sensibilités. Beaucoup admettent les prêtres femmes mais refusent le clergé gay et se rapprochent des communautés protestantes. Les autres anglicans plus traditionnels et très proches des catholiques s'organisent en envoyant des "évêques volants" (flying bishops) encadrer les prêtres et les fidèles hostiles aux décisions du synode disséminés dans tout le pays. Cette situation anarchique a été clarifiée par la récente constitution de Benoît XVI d'octobre 2009, Anglicanorum coetibus, qui permet aux groupes d'anglicans qui le désirent de rejoindre l'Église catholique tout en conservant leur patrimoine spirituel, dont le mariage des prêtres. Résultat, 500 000 personnes ont aussitôt demandé leur ralliement à Rome, provoquant l'angoisse de l'archevêque de Canterbury Rowan Williams. Théologien respecté, bien que suffisamment distrait pour préconiser l'instauration de la Charia en Grande-Bretagne, ce professeur Tournesol en soutane jouit de l'estime de Benoit XVI, qui a tenu à le recevoir pour lui garantir la poursuite de l’œcuménisme entre les deux Églises. Mais le geste généreux du pape n’a pas été reçu comme il le méritait ; il a suscité la colère de la presse britannique, le Times accusant le souverain pontife de « pêcher dans les lacs de l’archevêque ».

Le pape est un universitaire rompu à l'art du débat et passionné par la vérité. Ses prises de position lui ont valu la reconnaissance de plusieurs. Le journaliste conservateur Damian Thompson, du Daily Telegraph, a loué son courage. Paradoxalement, le blog protestant Cranmer, d'habitude très peu cathophile, a carrément appelé Benoît XVI au secours des chrétiens menacés par les nouvelles lois: « Pope come damn quick ! ». Car l'intervention du pape est éminemment politique. En septembre 2010, le Premier ministre qui ira accueillir Benoît XVI sera David Cameron, actuel chef de l'opposition conservatrice et futur vainqueur des prochaines élections législatives. Au Royaume-Uni, comme au Canada et aux États-Unis, les catholiques votent traditionnellement au centre et à gauche, les conservateurs défendant l'identité protestante de ces pays. Or, l'Equality Bill et la mise en garde papale risquent de priver le Labour Party de ses habituelles cinq millions de voix catholiques... Au profit de qui ? De son côté, David Cameron, anglican tiède, s'est récemment sentit obligé de faire publiquement une profession de foi chrétienne. Mais le leader des Tories a construit son succès médiatique sur sa capacité à se plier aux thèmes imposés par la pensée ambiante, comme les revendications gays. Cameron est aujourd'hui confronté à un dilemme, celui d'approuver la loi du gouvernement ou de revenir à ses fondamentaux. Déjà, des voix au sein du parti conservateur le pressent de ne pas céder au chantage du politiquement correct. Au royaume de St Thomas More, âme et conscience sont reines.

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