Mon innocence est ma forteresse

Marquis de Montcalm (1712- 1759).

dimanche 14 février 2010

Comment faire réélire un bonimenteur

Connaissez-vous George Frêche ? Massif, la cravate lissée, la bedaine énorme et le pommeau de canne luisant, c'est le président de la région du Languedoc-Roussillon. Il doit sa célébrité médiatique à ses goûts architecturaux très idéologiques, lorsque, maire de Montpellier, il a confisqué le mess des officiers de la garnison par antimilitarisme, subventionné le temple maçonnique local à la hauteur de 500 000 euros par clientélisme et racheté une statue de Lénine par caprice, et ses dérapages verbaux, pour avoir traité les Harkis de sous-hommes et confondu les luthériens avec les nazis, entre autres. Aujourd'hui, c'est à son collègue Laurent Fabius et à sa "tronche pas catholique" qu'il s'en prend. Tollé. On en oublie le drame haïtien. Les dignitaires du PS, l'ancien parti de Frêche, se désolidarisent vigoureusement de leur ex-camarade, et le voilà en tournée médiatique à quelques semaines de sa réélection au Conseil régional.

Pour les médias parisiens, George Frêche est l'image parfaite qu'ils se font du français moyen, dont ils ont une image méprisante. Il parle dans un accent provincial, aime la bonne chère, fait preuve d'une mauvaise foi totale, ronchonne, se dit catholique mais critique le pape sur l'IVG etc. En plus, il fait vendre du papier, c'est
un bon client. Mais Frêche est surtout un dinosaure. Il appartient à une génération de la politique disparue, celle des notables de province têtus et forts en gueule qui montaient à Paris pour transposer l'ambiance des bistros au Palais Bourbon. Une génération qui multipliait les bons mots, les insultes et les attaques ad honimen. Bolchévik, voyou, fasciste, nazi, ennemi du peuple, clérical, jésuite... Tout était permis. A cette époque, la haine du curé dans la bouche des parlementaires était beaucoup plus violente que ce qu'on appelle les dérapages verbaux d'aujourd'hui. Dans notre société qu'on veut sans taches, où les médias traquent la moindre phrase politiquement incorrecte, Jaurès, Daudet, Thorez ou Duclos se seraient perdus. Le Pen, lui, s'en amuse et joue avec, avec les résultats que l'on connaît. Quant à Frêche , il a rapidement perçu l'intérêt de cette situation: attirer l'attention de ses électeurs locaux en se faisant passer pour le martyr d'une capitale lointaine et déconnectée de la réalité. Le journal La Tribune publiait en ce sens un article consacré au l'autoproclamé gaulois résistant à l'envahisseur parisien.

" Mis au banc du PS et de la classe politique après sa sortie douteuse sur la « tronche pas catholique » de Laurent Fabius, l'ancien maire de Montpellier est visiblement content de perturber son monde et d'ébranler les certitudes de la classe politico-médiatique. « Il a réussi à plonger les bobos de Paris dans un état de surexcitation proche de l'apoplexie », estimait, jeudi dans Le Figaro, le philosophe et ancien ministre de l'Éducation Luc Ferry.

Antiparisianisme, bon sens populaire face au politiquement correct des élites, solide bilan d'élu local : les clés du succès de Frêche sont rustiques mais efficaces. À vrai dire, il n'est pas le premier à jouer la carte de la proximité avec ses électeurs pour se maintenir aux affaires face à une tempête médiatique. C'est presque devenu un classique de notre vie politique.

Avant de finir sa vie à Punta del Este en Uruguay, Jacques Médecin a mené une belle carrière politique qui l'a conduit au gouvernement sous Valéry Giscard d'Estaing tout en faisant régulièrement l'objet de soupçons et d'enquêtes de la justice.

Après avoir succédé à son père à la mairie de Nice en 1966, il a constamment été réélu ? et largement ? à ce poste jusqu'en...1990. Preuve que les électeurs niçois ne lui tenaient pas outre mesure rigueur des soupçons d'affairisme qui pesaient sur lui. Même après sa démission forcée en 1990, pour cause de condamnation, Médecin a toujours conservé de nombreux supporters dans sa ville et son département des Alpes-Maritimes, qui cultive, il est vrai, un particularisme historique face à Paris.

Les ennuis judiciaires n'ont jamais rebuté les électeurs lorsque leur élu s'affirme proche de leurs préoccupations. Ainsi, à Levallois-Perret, le sulfureux Patrick Balkany a pu reprendre sans problème les clés de la mairie aux élections de 2001 après une condamnation et une inéligibilité pour prise illégale d'intérêt. Comme l'ex-socialiste Frêche, le sarkozyste Balkany sait se rendre indispensable sur le terrain et ne répugne jamais à distribuer les poignées de main. Visiblement, peu importe aux Levalloisiens que les médias nationaux n'apprécient guère son attitude arrogante et son style parvenu. "

Au fait, pourquoi toute cette agitation médiatique autour du mot "catholique" ? Frêche dit qu'il est catholique et qu'il respecte le Saint-Père. Est-il un marxiste franchouillard, donc chrétien, à l'image de sa génération socialiste des années 60 ou est-ce encore une hypocrisie, comme beaucoup le pensent ? Fabuis, lui, est d'origine juive. Les organisations antiracistes de tout poil ont donc cru voir derrière cette dernière saillie un supposé antisémitisme. En réalité, Georges Frêche est un philosémite décomplexé, qui a applaudi la guerre israélienne contre le Liban. Beaucoup seraient étonné de lire ce communiqué très officiel de la Ligue de défense juive, qui n'est rien d'autre qu'une milice de gros bras qui prétend assurer la sécurité des quartiers israélites:
"La LDJ soutient Georges Frêche ami fidèle du peuple juif et d’Israël depuis de nombreuses années face à un Fabius qui a choisi de renier son judaïsme et que nous n’avons jamais vu dans une seule manifestation de soutien à Israël depuis 40 ans ."
Expulsé du bureau national et du conseil national du Parti socialiste en 2006, il reste pourtant un pilier de la fédération des Bouches-du-Rhône. Il va s'imposer comme un soutien vital pour l'élection de Ségolène Royal au poste de premier secrétaire national du PS, l'âme damnée de la candidate Vincent Peillon s'activant à prendre la défense de Georges Frêche et à nier les accusations portées contre lui. Le même Peillon ira plus tard courageusement boycotter une émission télévisée avec Marine Le Pen pour prétendre à un brevet d'anti-racisme, rentrant ainsi sagement à la maison du politiquement correct. Il n'avait pas le choix. Contrairement à Frêche et son ancrage local, hors de la petite bulle bobo urbaine, les Iznogouds médiatiques du PS n'existent pas.

Bien campé sur ses terres, le baron vieillissant et menacé de disparition a su relancer sa campagne en un rien de temps. Dans cette affaire, la réaction outragée des médias et de la classe politique lui a été d'un grand secours. Comme l'expliquait Georges Frêche au magazine Le Point: « tout cela est d’une facilité déconcertante ».

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