Mon innocence est ma forteresse

Marquis de Montcalm (1712- 1759).

samedi 20 février 2010

Les promesses du désastre


Un mois après le terrible séisme qui a ensanglanté l'île d'Haïti (plus de 270 000 morts), le président français Nicolas Sarkozy s'est rendu le 17 février dans la capitale, Port-au-Prince, pour une visite-éclair de quatre heures. Les médias ont souligné l'importance de cette première visite d'un président français sur le sol de cette ancienne colonie. Partageant une langue commune, la France n'a pourtant plus les moyens d'imposer son influence. Les premiers sur place furent les soldats américains, envoyés par Obama pour disperser les pillards mais aussi pour consacrer la prépondérance des États-Unis sur l'île. Le premier personnage que le Premier ministre haïtien appela au secours fut son homologue canadien Stephen Harper. La France a tout cédé aux puissances anglo-saxonnes, même sur le plan de la diaspora, dans un pays qui vit aux crochets de ses exilés: 60 000 Haïtiens vivent en France, contre 2,5 millions aux États-Unis et au Canada.
Mais cette situation n'a pas empêché le président de faire entendre la voix de la France, davantage humanitaire que politique. Contemplant l'étendue de la tragédie, le chef de l'État a multiplié les promesses. Le plan d'aide français est généreux: formation de fonctionnaires, policiers, pompiers,médecins ; fourniture de 1000 tentes en prévision de la prochaine saison des pluies, reconstruction de l'hôpital de la capitale... En tout, 325 millions d'euros d'aide, dont l'annulation exceptionnelle de la dette bilatérale (56 millions). La France le devait bien aux Haïtiens. Entouré d'anciens colons revanchards, Charles X exigea d'Haïti en 1825 la somme folle de 150 millions de francs-or pour reconnaître son indépendance et indemniser les planteurs chassés par la révolte des Noirs. La jeune République, déjà saignée, paya scrupuleusement cette dette jusqu'en 1883.

Divisée entre une partie française (l'actuel Haïti) et une partie espagnole (l'actuelle République dominicaine), Saint-Domingue était depuis 1627 la plus prospère colonie française et le point d'appui du royaume dans les Antilles. S'y développe un véritable empire de la canne à sucre, alimenté par la traite des Noirs et un esclavage particulièrement brutal: à la veille de la Révolution, on compte 400 000 esclaves pour 30 000 colons. Tous les historiens confirment qu'à cette date, la machine à exploiter l'homme s'est emballée. Lorsque la Bastille est prise, les colons sont majoritairement pro-révolutionnaires pour accroître leurs prérogatives, mais il est hors de question pour eux d'abolir l'esclavage. Tandis qu'en France, les évènements se précipitent, la surveillance se relâche, et le 14 août 1791, les esclaves se révoltent, balayant tout sur leur passage. Paradoxalement, c'est de
Louis XVI qu'ils se réclament, le "bon roi" ayant promis, paraît-il, d'abolir l'esclavage. Mais lorsque ce dernier est déchu et exécuté, le 21 janvier 1793, le régiment du Cap-Français et le gouverneur, fraîchement nommé par le roi, se dressent contre l'envoyé de la République Sonthonax, lequel riposte en promettant la liberté à tout esclave se battant pour la Convention. Le résultat est immédiat: la colonie tombe aux mains des bandes insurgées, des milliers de colons sont massacrés (le signe de ralliement des esclaves est alors un nourrisson blanc empalé) et dix mille s'exilent aux États-Unis ou en Jamaïque sous le regard des Anglais, qui en profitent pour tenter de s'emparer de l'île. Pour fidéliser les insurgés, l'abolition de l'esclavage est décrétée par la République en 1794. De cette catastrophe, un esclave affranchi révolté, Toussaint Breda (puis Toussaint Louverture) se fit reconnaître comme général par la Convention, pris le contrôle de la masse des Noirs, repoussa les Anglais et établit son autorité sur la colonie en 1798, puis sur toute l'île en 1801. Théoriquement, il obéit à la France, mais sur place, règne en maître sur l'ancienne perle des Antilles. Lorsque Bonaparte rétablit l'esclavage dans les colonies, Toussaint Louverture se révolte à nouveau. Le Premier Consul envoie alors le général Leclerc et 30 000 hommes pour reconquérir l'île. Louverture est arrêté et déporté en France au fort de Joux, où il meurt en 1803, mais les Français sont décimés par la guérilla des Noirs et les maladies tropicales. En 1804, les dernières troupes quittent la colonie, qui proclame son indépendance. Après le départ des Français, le sanguinaire Jean-Jacques Dessalines (futur empereur autoproclamé de l'île) ordonne le massacre de la population blanche survivante, à l'exception des prêtres. Au poids cruel de l'esclavage avait répondu la violence incontrôlée des Noirs.

La visite présidentielle ne pouvait pas échapper à ce poids du passé. Dans le jardin dévasté de l'ambassade de France, au milieu des vrombissements des hélicoptères américains et des réfugiés, Nicolas Sarkozy,
évoque, pour une des premières fois, l'histoire de France. "Les blessures de la colonisation, et, peut-être pire encore, les conditions de la séparation ont laissé des traces. (...) Même si je n'avais pas commencé mon mandat au moment de Charles X, j'en suis quand même responsable au nom de la France." Cette déclaration est intéressante. Rares sont les occasions où un président républicain assume ce que les rois ont laissé, pour le meilleur et pour le pire. De toute manière, dans l'esprit des Haïtiens, le président de la République est la continuité historique du roi de France. De Gaulle ne voyait-il pas la Ve République comme la "synthèse" de la monarchie et de la Révolution ? Régulièrement accusé de brader l'héritage du Général, Sarkozy se trouve enfin des accents gaulliens: "le peuple haïtien est meurtri, le peuple haïtien est épuisé, mais le peuple haïtien est debout."

Cependant, contrairement aux lobbies communautaristes noirs parisiens, les Haïtiens ne réclament pas de la France demandes de pardon et actes de repentance. Cité dans Le Monde, le président haïtien René Préval, se concentre sur l'essentiel:

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"L'histoire, c'est l'histoire et les colonisations ont été un phénomène mondial. Depuis l'indépendance, nous avons, politiquement, psychologiquement, surmonté cette période difficile (...) Le pays n'est pas à reconstruire. Il est à construire. "

Il est dommage qu'il ait fallu un séisme pour en arriver à cette conclusion.

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