Mon innocence est ma forteresse

Marquis de Montcalm (1712- 1759).

vendredi 5 février 2010

Mr Smith goes to Washington

Lu sur le site de la Fondation de Service politique, par Damien Theillier:

" Depuis presque un an, l’Amérique a vu naître une vague de protestation sans précédent de la part de citoyens qui dénoncent le big government mis en place par l’administration Obama. Le mouvement, baptisé Tea Party, est en passe de devenir un acteur majeur de la vie politique outre-Atlantique. Chaque mois, des marches géantes sont organisées dans les capitales des États et dans les grandes villes. Le mouvement ressemble à la naissance d'une contre-culture : cette vague de fond a-t-elle du fond ? (...) Grover Norquist, président d'Americans for Tax Reform, estime qu'au moins 268.000 personnes ont participé à plus de 200 marches dans les villes. Et la révolte ne vise pas seulement les hausses d’impôts. Elle touche la réforme de l’assurance maladie, le plan anti-réchauffement d’Obama, l’explosion de la dette nationale et bien sûr, le plan de relance de 787 milliards de dollars. Bref, c’est le renforcement des pouvoirs du gouvernement central qui provoque la colère des Américains, conservateurs et centristes confondus. Pourtant il y a un an, personne n’aurait imaginé un retournement de l’opinion américaine aussi rapide et aussi massif. Rétrospectivement, l’élection d’Obama apparaît moins portée par le désir de réformes que par le rejet de l’ère Bush autant que par la faible prestation du candidat républicain. Il faut dire aussi qu’Obama a dépensé quatre fois plus d’argent pour sa campagne publicitaire que McCain.
David Brooks, l’auteur de Bobos in Paradise (2000) est aussi chroniqueur au New York Times. Dans un article du 5 janvier 2010, il décrit très bien ce retournement de l’opinion publique américaine depuis un an contre les élites au pouvoir. J’en traduis librement un passage : « Dans presque toutes les sphères de l’opinion publique, les Américains se détournent de l’administration Obama, plutôt que se tourner vers elle. Un sondage Ipsos/McClatchy a demandé aux électeurs quel est le parti le mieux à même de traiter une gamme de 13 questions. Au cours de la première année de l’administration Obama, les républicains ont gagné du terrain sur les 13 points. L’opinion publique n’a pas seulement glissé de la gauche vers la droite. Chacune des opinions associées à l’élite politique au pouvoir est devenue plus impopulaire au cours de l’année écoulée. L’élite au pouvoir croit au réchauffement climatique, le scepticisme de l’opinion publique envers le réchauffement climatique est en hausse. L’élite au pouvoir soutient le droit à l’avortement, l’opinion publique s’y oppose désormais. L’élite au pouvoir veut contrôler les armes à feu, l’opposition au contrôle des armes à feu monte. La même chose vaut en matière de politique extérieure. L’élite politique au pouvoir est internationaliste, du coup le sentiment isolationniste atteint maintenant un niveau record, selon une étude du Pew Research Center. L’élite politique au pouvoir croit en l’action multilatérale, le nombre d’Américains qui croient que nous devrions “suivre notre propre voie” a fortement augmenté. » (...) La stratégie des démocrates consiste à faire croire que les opposants à Obama ne sont pas instruits, qu’ils sont sexistes, racistes, homophobes, hostiles à la science et fanatiques religieux. Cette stratégie de la calomnie n’est pas nouvelle, elle a toujours été celle de la presse de gauche contre la droite depuis le maccarthysme. À l’époque la presse de gauche faisait passer MacCarthy pour un affabulateur et un persécuteur. Aujourd’hui, cette stratégie de pilonnage ne semble plus faire mouche. (...) La victoire de Scott Brown, au poste de Ted Kennedy est un véritable coup de tonnerre dans la bien-pensance. (...) C’est dans ce contexte de révolte civile que le Tea Party Movement s’est formé en février 2009, après le vote du plan de relance. Le nom de ce mouvement est une référence au Boston Tea Party qui, en 1773, fut l'un des événements symboliques de la Révolution américaine. Il s’agissait d’un acte de révolte contre les taxes imposées par le royaume britannique à ses colonies sans que ces dernières soient représentées au parlement de Westminster.

Retour aux valeurs traditionnelles

Pourtant, les revendications des militants de ce grassroots movement ne sont pas uniquement fiscales. Le mouvement est basé sur un retour aux valeurs américaines traditionnelles d'un gouvernement limité et de la garantie des libertés individuelles, principes qui ont fait des États-Unis l’un des plus grands pays dans l'histoire de la civilisation. (...) Depuis, février 2009, le mouvement n'a cessé de prendre de l'ampleur. Une seconde journée de mobilisation a eu lieu dans tout le pays, le 15 avril, jour de la date limite d’envoi de la déclaration d'impôt. Ensuite, elles se sont multipliées tous les mois. Le 12 septembre dernier, ils étaient 50.000 citoyens à marcher vers le Capitole dans les rues de Washington. En France, Libération, dans un article du 20 janvier, parle de « montée en puissance d’une nouvelle droite populiste ». Une façon de stigmatiser le mouvement, le faisant passer pour un rassemblement de citoyens de seconde zone, incultes et intolérants. Si on entend par populisme une politique par laquelle on flatte les masses et on exploite les sentiments les plus réactionnaires, alors le populisme se confond avec une forme de démagogie vulgaire. Et c’est précisément ce que Libération tente de faire croire au sujet des Tea Parties. Mais il en va tout autrement si on entend par populisme la définition qu’en donne le Petit Robert : discours politique « qui s’adresse aux classes populaires, fondé sur la critique du système et de ses représentants, des élites ». C’est cette définition qui s’applique très précisément au Tea Party movement. Et c’est en ce sens que le populisme aux USA n’est pas une étiquette infamante mais l’expression même de la vitalité démocratique de ce pays, toujours soucieux de combattre les dérives totalitaires du pouvoir. Selon un sondage NBC/Wall Street Journal, 41 % pour cent des Américains ont une opinion positive du mouvement. Seulement 35 % des Américains ont une opinion favorable des démocrates et 28 % seulement ont une opinion positive du parti républicain. On le voit, les Américains rejettent les grands partis traditionnels et leurs politiciens jugés corrompus ou trop faibles. Dans ce contexte, le Tea Party pourrait bien devenir le premier parti américain, un parti indépendant qui pourrait présenter ses propres candidats aux primaires pour 2012. "

Nous sommes dans une époque de surprises. Ainsi, le beau Barack Obama, chouchou des médias libéraux des deux côtés de l'Atlantique, se voit être vigoureusement contesté par les citoyens américains. Pour désigner ce nouveau type d'opposition populaire, ce mot qui sonne comme un mépris cinglant, le "populisme". De nos jours, on distribue des brevets de populisme à tout va: aux Suisses qui ne veulent pas des minarets, aux Français qui n'aiment pas la burqa, aux Ougandais qui préfèrent faire la promotion de la chasteté plutôt que du préservatif dans la lutte contre le SIDA, aux catholiques anglais qui rejettent les lois sur les manipulations génétiques et aux dizaines de millions d'Américains qui n'ont pas voté pour Barack Obama.

A première vue, ce postulat semble exact. Les États-Unis sont sujets aux poussées de populismes, et ce dès le début de la démocratie américaine. En 1826, l'assassinat suspect d'un notable franc-maçon à New York provoque une fureur populaire qui se traduit par la création en 1830 du Parti anti-maçonnique, premier parti politique américain à organiser des conventions pour élire ses candidats. Ce mouvement qui envoya 25 députés à la Chambre des représentants et compta nombre de sénateurs et gouverneurs fut même l'opposant le plus puissant au président Andrew Jackson, ancien pionnier du Tennessee devenu général bravache et fondateur du Parti démocrate, qui a dominé la scène politique de 1828 à 1836 en s'attaquant aux banquiers, aux Indiens et... aux Français, ce qui faisait le plus bel effet dans la foule nord-américaine. Son double mandat fut même étiqueté de "règne de la plèbe" (mob rule) par l'élite de Nouvelle-Angleterre. Pour fustiger son populisme, les adversaires libéraux Whigs de Jackson le traitèrent d'âne: cet animal est depuis l'emblème du Parti démocrate de Barack Obama. Plus tard, un parti flattant les attentes des paysans, artisans et pionniers du Sud et de l'Ouest, le Parti populiste, rafla plusieurs États à la présidentielle de 1892. Enfin, plus proche de nous, le gouverneur de l'Alabama George Wallace, issu du Parti démocrate, qui se présenta sous sa propre bannière à la présidentielle de 1968. Charismatique, héros de la Guerre du Pacifique et chasseur de hippie, son programme anti-fédéral et ultra-ségrégationniste ("segregation for ever !") lui valut 13,5 % des voix. Avec moins de gouaille et plus de moyens, le milliardaire Ross Perot se mit lui aussi à rêver de la Maison-Blanche: ses 19 millions de voix en 1992 provoquèrent la défaite de George Bush face à Bill Clinton.

Dans la culture américaine, large place est faite à l'individu et à ses droits. La loi fondamentale américaine est née d'un compromis entre fermiers et propriétaires désireux de sauvegarder l'ordre établi et de ménager les libertés des États et de chaque citoyen. En vérité, peu de choses séparaient les Britanniques des Américains en 1776, sauf que ces derniers voulaient précisément que Londres ne se mêlent pas de leurs affaires financières, puis politiques. Le 10e amendement de la Constitution est très claire sur ce point:
" The powers not delegated to the United States by the Constitution, not prohibited by it to the States, are reserved to the States respectively, or to the people. "
Le pouvoir central n'a pas à intervenir dans le domaine privé des individus, considérés comme responsables et libres. D'où l'attachement incompréhensible pour un européen (sauf peut-être pour un Suisse élevé dans le culte du fédéralisme cantonal) pour les libertés individuelles comme le 2nd amendement, qui garanti le droit de porter des armes, comme dans les cités grecques de la démocratie antique. Derrière ces principes, une certaine conception de la démocratie, profondément ancré, comme la défense du "petit" sans cesse menacé dans ses intérêts par les "gros". Le film culte de Frank Capra, Mr Smith goes to Washington, qui dénonce les combines des politiciens de Washington et célèbre les fondamentaux de la démocratie américaine, en est le meilleure exemple.

Des combines et un pouvoir autoritaire, c'est justement ce que reproche aujourd'hui une partie des États-Unis au Prix Nobel de la paix Barack Obama.

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