Mon innocence est ma forteresse

Marquis de Montcalm (1712- 1759).

vendredi 29 janvier 2010

Vae vicits

L'annonce a fait la une de la presse entière. Lundi 25 janvier, l'ex-général Ali Hassan al-Majid, ancien chef militaire du régime baasiste était pendu après sa condamnation à mort par le Haut tribunal pénal irakien. Il était accusé de génocide et de crime contre l'humanité à cause de sa participation à la répression contre les Kurdes en 1988: confronté à la révolte des séparatistes kurdes alliés aux Iraniens, Saddam Hussein avait déclenché l'opération Anfal, inspirée d'un verset du Coran qui signifie "butin de guerre". Le responsable de la campagne militaire était son propre cousin, commandant de la région militaire du Nord, Ali al-Majid, connu pour sa brutalité et sa fidélité au parti unique Baas. Le 16 mars 1988, les avions irakiens bombardent le village kurde d'Halabja, à la frontière iranienne, en employant du gaz moutarde. Cette attaque, qui tua 5000 personnes, en majorité des femmes et des enfants, valut au général irakien le macabre surnom d'Ali "le chimique".

Après les pendaisons de Saddam Hussein en 2006 et d'Ali al-Majid en 2010, le jugement de la dictature se poursuit en Irak. Les Américains souhaitaient rejouer le rythme éclair de la dénazification de l'Allemagne avec la mise en place d'un tribunal pénal dès 2004, ce qui a surtout eu pour effet de casser la colonne vertébrale du pays avec la disparition des structures civiles du Parti baas, dissout et interdit par l'occupant. On peut se poser la question de la légitimité d'une telle cour de justice qui a été installée par l'occupant. Le déroulement des procédures est aussi soumis aux critiques ; dans le cas de Saddam Hussein, les avocats de la défense n'ont pas eu le droit de rencontrer leur client, et les juges ont été soumis aux pressions exercées par le Premier ministre Nouri al-Maliki, qui s'était promis la tête de l'accusé. Celui-ci fut d'ailleurs exécuté dans des conditions indignes de l'État de droit que les Etats-Unis s'étaient vantés d'établir en Irak. Al-Maliki est revenu en Irak dans les fourgons de l'armée américaine après 20 ans d'exil en Syrie, où il était chef du bureau djihad du parti islamiste chiite Dawa persécuté par Saddam Hussein. Cette dérive en vengeance personnelle illustre les limites des grands procès de dictateurs et de criminels de guerre à résonance internationale, qui deviennent les procès des vainqueurs sur les vaincus. Le Tribunal Pénal International pour l'ex-Yougoslavie qui siège à La Haye, bonne conscience des opinions publiques occidentales et fierté des juristes européens, est complètement discrédité: pourquoi les serbes Karadzic et Mladic, vaincus, sont-ils pourchassés sans pitié alors que le tribunal a accordé l'impunité aux chefs albanais (dont l'actuel Premier ministre du Kosovo) coupables de trafic d'organes sur des prisonniers mais membres du camp des vainqueurs ? Le bilan actuel du Tribunal spécial pour le Cambodge est pire encore. Mis sur pied par la communauté internationale en 2008, le jugement des anciens Khmers Rouges, coupables d'un des pires crimes du XXe siècle commis au nom d'un communisme intransigeant, arrive trente ans après les faits. Seuls cinq vieillards ont été arrêtés, le droit dont se parent les juges est totalement étranger aux Cambodgiens... Et surtout: les puissances internationales ne seront pas inquiétées. Pourtant, à se pencher sur les faits, les pays occidentaux, défenseurs hier du droit d'ingérence à la Kouchner et aujourd'hui de la guerre juste d'Obama, ne sont pas exemptes de responsabilités. L'Irak de Saddam Hussein était à la fois un allié socialiste de l'URSS dans le monde arabe, un barrage utile des États-Unis face à l'Iran et une source de contrats juteux pour la France. Les avions de chasse irakiens qui ont bombardé le Kurdistan étaient des Mig et des Mirage, fournis par l'Union soviétique et la France. Les pilotes étaient formés par des conseillers français. La même année du massacre de Halabja, le groupe américain Bethel remportait un contrat de construction d'une usine chimique en Irak destinée à des fins civiles et militaires. L'ancien président de Béthel George Shultz, alors Secrétaire d'État dans l'administration Reagan, avait pesé de tous son poids pour une coopération avec Saddam Hussein. Il sera par la suite membre du Comité de libération de l'Irak.

Robert McNamara, l'architecte de la guerre du Vietnam, avait cette confidence: « heureusement que nous avons été victorieux (sic) sinon nous aurions été jugés comme criminels de guerre »

L'Irak d'aujourd'hui est dirigé à la fois par les Kurdes sunnites du Nord, à travers le président de la République Jalal Talabani et les chiites du Sud en la personne du Premier ministre Nouri Al-Maliki. Ce qu'ils ont de commun: ils doivent tout aux Américains. Les Kurdes rêvent de détruire l'Irak pour fonder leur État indépendant, tandis que les chiites d'Al-Maliki regardent vers l'Iran. Pendant ce temps, un homme attend lui aussi sa condamnation. C'est l'ancien ministre des Affaires étrangères Tarek Aziz, longtemps n°2 du régime irakien. Chrétien protégé par la laïcité baasiste, (laquelle est aujourd'hui remplacé par l'islamisation forcée des amis d'Al-Maliki) mondain et fin négociateur, il fut l'interlocuteur privilégié de l'Occident pendant les années 1980. Le 20 décembre 1983, à Bagdad, Tarek Aziz présentait à Saddam Hussein un fonctionnaire américain bien sous tous rapports venu lui assurer le soutien des États-Unis contre l'Iran de la Révolution islamique. Il s'appelle Donald Rumsfeld, envoyé spécial de Ronald Reagan au Moyen-Orient. Vingt ans plus tard, devenu secrétaire d'État à la Défense des États-Unis, c'est lui qui sera l'instigateur de la guerre en Irak. Tarek Aziz n'a pas grand-chose à se reprocher, sinon d'avoir servi un régime vaincu, pourtant le tribunal compte bien le mettre dans le même sac que Ali le chimique pour la destruction de villages kurdes qu'il n'a pas ordonné. Là aussi, le silence gêné de la communauté internationale se fait entendre.

Saddam Hussein voyait en Saladin un modèle. Le mythique sultan vainqueur des croisés était kurde.

1 commentaire:

  1. Très bon article, comme d'habitude.

    S'il est en effet nécessaire de faire des alliances de circonstance en politique, il est grotesque de venir se faire les juges des hommes que l'on a naguère soutenu dans leur action. Il est bon de rappeler que le régime Khmer a recu le soutient de USA en réaction à la menace vietnamienne soutenue par l'URSS. De même pour l'Irak de Saddam comme vous l'exposez.

    J'aime votre qualification du TPI; "bonne conscience des opinions occidentales et fierté des juristes". Elle sonne très juste. Faut-il rappeler le budget du TPI au cambodge qui avoisine les 150 millions de dollars renouvelé une fois? Cette écoeurante débauche d'argent dans un des pays les plus pauvre de la planète pour un résultat consternant fait frémir; 5 vieillards gateux jugés par la toute puissante communauté internationale. Expression parfaitement inadaptée en l'éspèce quand on sait que les USA, le Vietnam ou la Chine, bref tout ceux impliqués lors du sanglant Kampuchea démocratique ont refusé de participer au procés. Etonnant? Pas vraiment quand on connait l'implication de ces pays durant cette triste page de l'histoire qu'il conviendrait de retourner. Mais ceci est une autre histoire.

    Quelle etrangeté de juger ces hommes selon les sacro-saints critères des droits de l'homme. Aussitôt condamner par l'opinion internationale, aussitôt pendu. Car finalement ces hommes ne méritent d'être traités comme les fils des démocraties occidentales. Ce ne sont pas des hommes. Ils ne méritent donc pas qu'on les jugent sur de tels critères. Ainsi trouve-t-on légitime Hiroshima et Nagasaki, ne s'offusque-t-on pas des traques à l'homme de l'après guerre que mènent encore Israël 70 ans plus tard contre des supposés anciens Nazis, et déclarons logique les lynchages posthumes. Fabuleux courage que ce tribunal qui ne s'attaque exclusivement qu'aux quinquagénaires. Quel signe de probité! Pour éviter de devoir se rappeler que l'on a consciencieusement soutenus ces régimes, que l'on a allègrement, à leurs côtés, massacrés des populations dans des proportions qui rentrent dans les qualifications d'un génocide, on invente la justice à contretemps. C'est une sorte de psychanalyse pour purger notre conscience, transférer notre faute sur de faibles vieillards -ayant eux aussi bien sûr une responsabilité- et finalement garder sauf l'honneur de la démocratie. L'histoire lavée de tout péchés peut alors recommencer. L'astuce est grandiose. On est à la fois assassin et juge. Une sublime combine digne de Kasparov ou de Madoff. L'ennui, c'est que la combine a du sang sur les mains. Les Etats-Unis sont des professionels en la matière. Depuis près de 60 ans ils forment des armèes, soutiennent des dictatures, répandent la mort aux quatres coins du monde puis viennent, au nom des droits de l'homme, juger la créature qu'ils ont formé. Et pour les juristes l'affaire est juteuse. Un nouveau droit doit se créer. Le droit international des criminels anti-occident. Cette matière requiert des trésors d'ingéniosité pour inventer ex-nihilo un droit sans aucune légitimité. Ce droit se base sur la bonne volonté de juges occidentaux, payés par des puissances occidentales, mandatés par les mêmes puissances pour juger des criminels désignés par l'occident. Sans avoir besoin d'importantes notions de droit l'affaire parait tout de même jouée d'avance non?

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