Mon innocence est ma forteresse

Marquis de Montcalm (1712- 1759).

mardi 19 janvier 2010

Burqa, mosquées et minarets

Il nous faut revenir sur un évènement qui a marqué la fin de cette année 2009: ce coup de tonnerre dans le ciel serein du début de l'hiver, les Suisses ratifiant le 29 novembre un référendum qui interdit la construction de nouveaux minarets sur le territoire de la Confédération helvétique. Le « oui » l’emporte à 57,5 %, avec un taux de participation exceptionnel pour la Suisse de 53 % des électeurs inscrits. Ce résultat est une surprise considérable alors que tous les sondages prédisaient une victoire du « non »… Le gouvernement fédéral, qui était sorti de sa séculaire neutralité pour appeler à rejeter ce texte, a reconnu sa défaite : « La construction de minarets est désormais interdite en Suisse ». La Suisse compte 400 000 musulmans, soit 5 % de la population, environ 200 mosquées et… 5 minarets, dont un construit en 1865 par le chocolatier de Neuchâtel Philippe Suchard. A l’origine de cette querelle de clochers, une initiative populaire forte de plus de 115 000 signatures, déposée en juillet 2008 par des représentants de la droite populiste. Motif : la menace islamiste qui « met en péril la paix religieuse en Suisse». A force d’affiches éloquentes, les défenseurs de l’initiative sont parvenus à convaincre, en se défendant de priver les musulmans de lieux de culte, et en insistant sur le « symbole politico-religieux » que représente le minaret. D’autres sont allés plus loin : le minaret en terre européenne n’est pas l’équivalent d’un clocher d’église. Parmi les élites françaises "éclairées", c’est la stupéfaction. La démocratie semi-directe est devenue une abomination, la vox populi fait peur. Le quotidien Libération croit détenir la solution : supprimer l’usage du référendum, outil de tous les extrémismes. Le peuple n’est pas d’accord ? Il faut dissoudre le peuple ! Ce même journal est d’ailleurs rapidement obligé d’arrêter les discussions sur son site, devant l’avalanche de félicitations des internautes en faveur du vote suisse ; même son de cloche sur celui de l’hebdomadaire Le Point. Pour le député vert européen Daniel Cohn-Bendit, la messe est dite : « les Suisses doivent revoter » dit-il le 2 décembre dans le quotidien de Genève Le Temps. Le héros de Mai 68 avait déjà expliqué sa conception de la souveraineté populaire lors du Traité de Lisbonne, en traitant les Irlandais qui avaient voté « non » de « débiles mentaux ». Avant, le peuple ne votait pas. Aujourd’hui, il doit voter selon des normes édictées pour lui, sinon, il se trompe.

Ce référendum qui sonne le glas des minarets est parti de la tranquille petit ville de Wangen: en 2007, le centre culturel turc local décide d'en construire un, mais les habitants, soutenu par la municipalité et le pasteur, en appellent au tribunal administratif du canton de Soleure. Qu'importe si les Turcs, qui représentent la majorité des musulmans suisses avec les Albanais, sont davantage portés sur le vin d'Anatolie que sur le Coran, la peur d'entendre le muezzin cinq fois par jour est plus forte. C’est grâce à cette controverse que l’Union démocratique du centre va agir. Premier parti politique suisse depuis 1999, dirigé jusqu'en 2008 par un énergique milliardaire de Zurich, Christoph Blocher, l’UDC a fait son succès sur la défense de l’Alleingang, la neutralité perpétuelle d’une Suisse villageoise, en jouant largement sur la crainte de perdre les particularismes du pays. Avec l’épiphénomène des minarets, le parti s’appuie sur l’actualité européenne et internationale pour dénoncer une islamisation rampante du pays. Alliée pour l’occasion avec l’Union démocratique fédérale, un petit parti protestant, l’UDC poursuit sa radicalisation alors que son audience dans les instances de la Confédération est en perte de vitesse depuis l’éviction du Conseil fédéral de Christoph Blocher en 2007. L’objectif de ces deux partis : revenir sur le devant de la scène, animer le débat public sur la pratique de la religion musulmane en Suisse, et mobiliser l’électorat conservateur grâce à un appel direct au peuple, matérialisé par une initiative populaire demandant l’interdiction de la construction de minarets et son inscription dans la Constitution. En Suisse, la modification partielle de la loi fondamentale nécessite la collecte de 100 000 signatures. Ce procédé unique est le reflet du « chemin particulier » suivie par la démocratie helvétique. C’est pourtant ici que se situe la principale faiblesse de la démocratie suisse : le Parlement est juge et partie des initiatives. Quant une proposition est déposée à Berne par des groupes d’intérêts, l’Assemblée fédérale doit se prononcer sur sa validité, ce qu’elle fait grâce au vote de ces mêmes groupes d’intérêts et aux alliances qu’ils auront suscité. Le Conseil fédéral se cantonne à l’application de la loi issue des Chambres ou des référendums.

La victoire de l'UDC introduit plusieurs éléments inédits dans le paysage politique suisse. Dans un pays habitué au consensus parlementaire, le jeu de personnification des tribuns de l'UDC est toute nouvelle. Hier, Blocher orchestrait les campagnes de son parti autour de sa personne, aujourd'hui, c'est la valaisien francophone Oskar Freysinger qui tient la vedette. A ce rythme, on se demande comment va évoluer ce qu'on appelle aujourd'hui le populisme alpin. Quoi qu'il en soit, le succès du parti tient autant de la stratégie de ces dirigeants que de la tradition suisse de conservation et de défense des modes de vie. Solide fils de pasteur, Blocher n’est pas fâché de voir le christianisme de Calvin conserver sa visibilité par rapport à l’islam, bien que la Constitution suisse commence par un préambule dédié au « Tout-Puissant » et à la « Création », ce qui permet en théorie à n’importe qui, qu’il soit témoin de Jéhovah, bouddhiste, sikh ou mormon, de se reconnaître dans la loi fondamentale. Après tout, la Suisse protestante a bien interdit au XIXème siècle aux catholiques d’ériger des clochers… Les lois qui interdisaient les Jésuites et la construction de nouveaux couvents n’ont été abrogées qu’en 1973. Le passé historique pèse encore lourd sur la Suisse. Les cathédrales protestantes sinistrement vides de Genève et Zurich sont des prises de guerre qui datent de la Réforme.

Les vallées alpines ont donc échappées à l’invasion musulmane annoncée. Pourtant, bien malin l’helvète qui trouvera une djellaba dans le canton d’Uri. De fait, le vote suisse n’a fait qu’exprimer une tendance qui dépasse les frontières du pays. Avec ses montagnes majestueuses et ses chalets hauts perchés, la paisible Confédération helvétique qui n’aspire qu’à rester neutre se trouve plongée dans une querelle qui touche toute l’Europe. « On ne saurait se tromper là-dessus. Il y a actuellement, en Europe, une vague de fond hostile à l’emprise islamique... C’est la Turquie des minarets qui est indésirable et fait planer son ombre sur le continent » explique Gérard Leclerc, journaliste de France catholique.

De fait, la patrie de Voltaire n’a pas de leçons à donner à celle de Rousseau. La France aux 6 millions de musulmans traverse une grave crise d’identité. Le drapeau français ne fait plus rêver personne, et le matérialisme mercantile de la société détruit les repères communs, ce qui explique le repli des musulmans vers l’intégrisme ; les imams devenant les avocats d’une communauté particulière. Abdelwahab Meddeb, professeur de littérature comparée à Paris-X-Nanterre, l’explique assez bien : « Ce retour vers la pratique religieuse est le reflet d'une panique sur la question de l'identité, de l'origine. On retrouve le même phénomène chez les juifs. Chez les Français d'origine catholique, cela peut prendre la forme d'un intégrisme laïciste. » Contrairement à la chouchoute du politiquement correct Caroline Fourest, Meddeb ne tente pas de faire croire à l’existence d’un intégrisme catholique aussi puissant que les intégrismes musulman et juif. En effet, la panique identitaire chez les Français déchristianisés se traduit parfois par une agressivité anti-religieuse. Parce qu’elle se sent menacée, la laïcité française devient fanatique : César tue Dieu et se substitue à lui. Caroline Fourest déteste le fait religieux en lui-même, assimilé à l’oppression des consciences… Des « atheists bigots », comme dit la presse de Londres. Du coup, les formes les plus visibles de l’islam, comme la burqa, sont dans le collimateur. Le député-maire communiste de Vénissieux, dont la majorité des administrés sont aujourd’hui musulmans, a réuni cet été avec fracas une commission parlementaire, dont l’objectif est d’interdire la burqa. Les reportages ont alors fleuri au sujet de ces femmes qui vivent comme au Pakistan. Surprise : les plus acharnées d’entre-elles sont des "gauloises" de naissance catholique qui, devenues athées, se sont converties. Et elles n’entendent rien au discours des députés qui souhaitent les « délivrer » de leur prison vestimentaire. Mais au nom de quoi ? Ces législateurs invoquent la dignité de la femme. La pornographie bafoue tout autant la dignité de la femme, et elle n’est pas interdite.

Pendant ce temps, à Marseille, ville qui compte 300 000 musulmans sur 800 000 habitants, le maire de droite Jean-Claude Gaudin a un projet grandiose : une mosquée de 8600m2, pouvant accueillir en pleins quartiers nord plus de 7500 personnes, avec un minaret de 25m de haut. Les plans, le terrain et l’inauguration (la fête de l’Aïd en 2011) sont fixés. Pas le financement des travaux. Qui va payer les 22 millions d’euros nécessaires ? Le contribuable ou l’Arabie saoudite ? « Une quinzaine de pays riches nous ont assuré de leur aide » se réjouit l'entrepreneur Nourredine Cheikh. Ceux qui protestèrent en premier contre la construction de la mosquée ne furent pas des partis d’extrême-droite, mais des universitaires spécialistes du monde arabe et de l’islam, qui envoyèrent en 2007 une lettre adressée directement au citoyen Gaudin. « Vous n’êtes pas sans savoir, écrivent-ils, que la religion musulmane n’est pas seulement un culte, mais aussi une doctrine sociale et politique, et qu’en lui donnant un lieu de culte, vous donnez aussi une place forte, une citadelle à cette doctrine sociale et politique, dont l’institutionnalisation ne peut être qu’un premier pas pour les visées hégémoniques qui lui sont inhérentes. » D’autres élus sont plus subtils : le président socialiste de la région Rhône-Alpes Jean-Jack Queyranne, qui caracole en tête des sondages en vue des élections de juin 2010, fait ainsi construire un vaste bâtiment sous couvert de « centre culturel islamique ».

De retour à Berne, les membres du comité d’initiative populaire exultent. Un des auteurs de cette initiative est Christian Waber, un petit homme moustachu protestant qui habite dans l’Emmental, au cœur de la Suisse. Président de l’Union démocratique fédérale, allié de circonstance de l’UDC, et membre de l’Armée du Salut, Herr Waber utilise sans complexe un vocabulaire militaire qui ferait tousser les bonnes âmes sensibles de l’autre côté des Alpes: « l'islam n'est pas seulement une religion, mais surtout une déclaration de guerre au monde chrétien». N’est-ce pas Recip Erdogan, le Premier ministre de cette Turquie candidate à l’entrée dans l’Union européenne, qui disait lui-même : « les minarets sont nos baïonnettes » ?

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