Mon innocence est ma forteresse

Marquis de Montcalm (1712- 1759).

mardi 19 janvier 2010

War Nobel Price


La trêve de Noël n'a guère été respectée en cette fin d'année. Et tout indique que 2010 sera riche en intentions belliqueuses. Depuis le début du mois de janvier, les officiels de Washington parlent ouvertement de prendre pour cible la branche de l'organisation terroriste Al-Qaeda basée au Yémen. La tentative d'attentat d'un jeune Nigérian venu du Yémen a ouvert les hostilités. Le conseiller anti-terroriste de la Maison-Blanche John Brennan a déclaré que les États-Unis allaient "anéantir " Al-Qaeda et a évoqué la menace de l'envoi de troupes sur place. Le 7 janvier, le président Barack Obama (et Prix Nobel de la Paix) a rappelé que l'Amérique était "en guerre ". " Comme si les interventions US en Irak et en Afghanistan n’étaient pas suffisantes pour étancher la soif de sang de l’Empire " ( Empire's bloodlust) commente, acerbe, le journaliste alternatif Ron Jacobs.
La crise yéménite ne surprendra pas les spécialistes du Moyen-Orient. Jadis surnommé "Arabie heureuse" (Arabia Felix) par les commerçants romains, le pays est une poudrière hautement explosive. Les islamistes, longtemps choyés par le gouvernement en place, sont nombreux, et les terroristes recrutent sans mal dans une société tribale et traditionnelle. En 2000, l'attaque du destroyer américain USS Cole dans le port d'
Aden (17 morts) était le premier d'une série spectaculaire d'attentats. Enfin, depuis 2004, une guérilla particulièrement atroce, qui a fait plus de 175 000 déplacés, oppose les troupes gouvernementales aux membres de la mouvance chiite zaydite, à la frontière avec l'Arabie saoudite. Pour avoir les mains libres dans la répression, le régime prétend que les rebelles sont aidés par l'Iran, tandis que les Saoudiens se permettent de poursuivre les Chiites qui ont dépassé la frontière à l'intérieur du Yémen.
Sur son blog, le journaliste Patrice de Plunkett ironise sur le "Peacemaker " Obama et pointe les conséquences immédiates de l'engagement américain: "Si l'objectif d'Al-Qaeda (ou ce qu'on nomme ainsi) était de renverser les régimes arabes existants pour instaurer un « califat », c'est raté. En revanche, si Al-Qaeda voulait enliser le colosse US dans des guerres-bourbiers perdues d'avance, c'est réussi."Les États-Unis, le Royaume-Uni et la France ont fermé leur ambassade au Yémen, tandis que les contrôles se renforcent dans les aéroports et que le Congrès verse une aide militaire de 70 millions de dollars au président yéménite Ali Abdallah Saleh, grand démocrate élu par 96 % des voix en 2000 et autoproclamé maréchal en 1998. "Tout cela pour un attentat manqué : celui du 24 décembre dans un avion assurant la liaison Amsterdam-Detroit. S'il suffit de ça pour amener les Occidentaux dans une fournaise yéménite, alors qu'il avait fallu l'épouvante de septembre 2001 pour les amener dans le piège afghan, le gain de productivité pour Al-Qaeda est remarquable ; on voit qu'Ousâma ben Laden – héritier d'un empire économique –
a fait de solides études de gestion" conclut Plunkett.

A l'origine, une partie du Yémen actuel était un protectorat britannique: Londres avait perçu l'importance stratégique du port d'Aden, escale sur la route des Indes, qui contrôlait l'accès à la Mer rouge et à la Corne de l'Afrique, et avait occupé la ville en 1839. Les officiers de l'armée yéménite qui paradent, stick sous le bras, au son de la cornemuse en attendant l'heure du thé et la réplique de Big Ben à Aden sont les dernières traces visibles de l'héritage colonial. La domination de la Couronne s'étendit dans les oasis du Sud, mais les Anglais ne s'aventurèrent jamais dans les montagnes hostiles du Nord: déjà, la division était tracée entre les deux futurs Yémen du Nord et Yémen du Sud. En 1967, après le départ des Britanniques, des révolutionnaires soutenus par l'URSS s'emparèrent du pouvoir à Aden et proclamèrent la République démocratique populaire, le seul régime communiste du monde arabe, tandis qu'au Nord, des militaires manipulés par l'Égypte mirent fin à la tradition théocratique islamique et établirent une république. Pendant 23 ans, les deux Yémen se firent face. Dopé par des réserves pétrolières et gazières immenses, le Sud se modernisa et offrit ses bases navales aux Soviétiques. L'islam bâillonné, les femmes jouirent des mêmes droits que les hommes. Le Nord, sous la coupe des militaires de la capitale, Sanaa, restait un pays pauvre et archaïque, mais une guerre civile meurtrière ravageant le Sud-Yémen en 1986 et la Perestroïka stoppant les subvent
ions russes placèrent les Nordistes en position de force: les deux pays se réunifièrent en un seul État en 1990, aussitôt dominé par le général nordiste Ali Saleh. Les montagnards musulmans pratiquants qui descendirent à Aden furent horrifiés de voir des femmes têtes nues et confisquèrent les ressources souterraines sudistes à leur profit. Les anciens dirigeants communistes du Sud tentèrent de faire admettre la laïcité et l'égalité homme-femme au Parlement, mais, étouffés par Saleh, ils provoquèrent une sécession en 1994. A l'issue d'une blitzkreig sanglante, le Sud fut écrasé et le Nord règne aujourd'hui sans partage sur les ruines d'un pays vaincu et pillé.

Les déchirures yéménites ne sont pas la préoccupation première de Washington. Gardiens jaloux du robinet à pétrole que représente la région, les États-Unis redoutent surtout que les thèses islamistes ne se répandent aux masses de la péninsule arabique exploitées par des monarchies corrompues et vassales de la bannière étoilée. D'où l'urgence de neutralis
er ce foyer de gangrène terroriste. Les Américains, qui avaient approuvé l'écrasement de la révolte "rouge" en 1994, ont commencé à faire les yeux doux au maréchal Ali Saleh après le 11 septembre 2001. Dix ans auparavant, en pleine guerre du Golfe, la Maison-Blanche avait pourtant fait payer cher le soutien de Sanaa à l'Irak de Saddam Hussein en dévaluant la monnaie du pays et en poussant l'Arabie Saoudite à expulser 800 000 travailleurs yéménites... Le 2 janvier 2010, le général David Petraeus, commandant les forces américaines en Irak et en Afghanistan, a rendu une visite surprise au président Saleh pour lui sommer de faire place à la riposte américaine. Mais ce dernier tente de persuader ses interlocuteurs de le laisser régler seul le conflit avec les islamistes, ce qui épargnerait à l'opinion publique outre-Atlantique les colonnes de civils bombardées par les avions américains. Au passage, le despote yéménite souhaite faire reconnaître par le président Obama le lien imaginaire entre Al-Qaeda, la rébellion chiite et les derniers partisans de l'ancien régime sudiste... Ce à quoi notre héros consentira sans problème.

En Europe, Obama est au-dessus de tout soupçon. Les rêveurs urbains des grandes écoles françaises en extase devant le lauréat du jury d'Oslo, qui parle de " guerre juste ", mais aussi de mariage homosexuel, à la différence de son prédécesseur, davantage porté sur la Bible texane, lui pardonnent volontiers. Bush était un "va-t-en guerre" ? Obama, lui, "prend ses responsabilités". Le fait qu'il défende, comme son prédécesseur, les intérêts stratégiques des États-Un
is, et qu'il n'ait aucune idée sur les affaires militaires, laissant les généraux du Pentagone le guider, ne compte guère aux yeux de ses admirateurs.

Rappelons pour conclure que si les combattants islamistes ont pu s'implanter dans le Nord du Yémen à partir des années 1980, c'était avec la bénédiction des États-Unis et de l'Arabie saoudite, pour servir de barrage en cas de débarquement soviétique. Le régime de Sanaa utilisa d'ailleurs sans vergogne ces fa
natiques pour ravager le Sud en 1994, lesquels prirent soin de mitrailler les rares églises d'Aden que les communistes avaient épargnées. Il reste une poignée de chrétiens dans le port où Rimbaud séjourna, identifiés comme espions américains par la foule musulmane: le président Obama pense-t-il à eux ?

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