Mon innocence est ma forteresse

Marquis de Montcalm (1712- 1759).

mardi 19 janvier 2010

Jellyfish en campagne

Le Marquis connaît bien les anglais, pour les avoir combattu. Et il est en mesure de dire qu'il ne votera certainement pas conservateur.


Une tempête dans une tasse de thé se prépare de
l’autre côté de la Manche. Après plus de dix ans de règne, le Labour Party est en mesure de perdre les élections générales organisées avant juin 2010. Sauf changement inhabituel, le scrutin verra la victoire des conservateurs menés par David Cameron. Celui que les sondages désignent comme futur Premier ministre ne manque pas d’allure ; après avoir su marier son look bon chic bon genre de ses études d’Oxford avec la nonchalance qui sied à un habitant du quartier bobo londonien de Notting Hill, David Cameron ambitionne d’incarner tout à la fois le conservatisme et la modernité.

Le conservatisme sauce Cameron est, comme le sarkozysme, un produit de ce magma idéologique formé par la globalisation : une sorte de droite au crâne vide issue des rangs traditionnels, qui faute de mieux se découvre une passion pour l’écologie, pratique néanmoins sans scrupules le capitalisme et flirte avec la
gauche libérale bon teint… le tout sous les applaudissements des bien-pensants. En 1997, les électeurs avaient eu droit au New Labour de Blair, aujourd’hui bienvenue au New Tory de Cameron, surnommé « Tory Blair » par la presse de Londres. Entouré d’une équipe de choc, jeune et branchée, il a réussit l’exploit d’attirer les classes populaires, lassées des mensonges de Tony Blair. Discours policé et politiquement correct au menu. « Le plus chic type d’Angleterre» titrait en avril 2009 la revue Vocable, destinée aux étudiants désireux d’apprendre la langue de Shakespeare. Sur le continent, à Sciences Po, les jeunes futurs diplomates, journalistes et PD-G admirent le savoir-faire politicien du chef des Tories. Voilà un homme selon notre cœur disent-ils. Pas étonnant, puisque David Cameron ne fait que suivre l’air du temps. A force de contorsions et de nuances, le talentueux leader conservateur a même fini par gommer le clivage droite – gauche. « Cameron descend d’un fils adultérin du roi Guillaume IV. Son épouse Samantha, quant à elle, descend d’une fille adultérine du roi Charles II : le couple Cameron a ainsi réuni Stuart et Hanovre, ce qui était plus difficile que de fusionner la droite et la gauche » ironise le journaliste Patrice de Plunkett. Car « Dave », sous l’influence de Mrs Cameron, est devenu une méduse ( jellyfish) transparente: il passe d’opinion en opinion. En 2007, Cameron avait promis dans les colonnes du tabloïd The Sun qu’il ferait tout pour organiser un référendum au Royaume-Uni sur le traité de Lisbonne, même s’il était ratifié entre-temps. Mais lorsque le texte très controversé est accepté par la totalité des pays membres de l’Union le leader tory fait marche arrière le 4 novembre 2009 et capitule sur tout. Angela Merkel et Nicolas Sarkozy ont apprécié. Les membres du parti, beaucoup moins. Pas dupe, le Daily Telegraph prévenait ses lecteurs en juillet dernier : « David Cameron est prêt pour gagner, mais n’attendez pas un gouvernement conservateur ».

Sous Cameron le caméléon, les tories ont en effet opéré une mue en profondeur. Le parti a instauré la Tory Conference Pride, le premier pôle militant gay au sein du mouvement qui a fait inscrire la promesse d’une extension du partenariat civil pour les personnes homosexuelles dans le programme de campagne de Cameron, et a exprimé ses excuses pour son soutien à la Section 28. La Section 28 était un amendement à l’acte de gouvernement au Royaume-Uni, mis en place par Margaret Thatcher en 1988 et abrogé en 2000, qui interdisait à l’autorité locale de promouvoir l’homosexualité « comme une prétendue relation familiale ». En 2003, David Cameron, alors jeune député conservateur de Witney, défendait encore la Section 28… Aujourd’hui, « Dave » manifeste en tête de cortège de la Gay Pride de Londres avec son épouse. La puritaine Angleterre qui persécuta jadis pour homosexualité Oscar Wilde mais aussi Alan Turing, le génial décrypteur du code Enigma pendant la Seconde guerre mondiale, fait à présent la chasse aux individus qui n’approuvent pas les partenariats civils. En 2008, le Criminal Justice and Immigration Act, qui visait à restreindre la liberté d’expression au nom de la lutte contre l’homophobie, fut amendé de justesse par Lord Waddington, cousin de Sa Majesté, au soulagement de nombreux comiques menacés de lourdes peines. Outre le pôle gay, le pôle juif, le pôle hindou et le pôle sikh, les Tories se sont aussi dotés d’un pôle musulman, le Conservative Muslim Forum, lequel s’est empressé d’émettre des propositions qui – étrangement – ne figurent pas dans le programme du parti : entre autres, l'apprentissage aux écoliers de « l’apport massif de l’Islam dans le développement de la culture occidentale » et l'instauration de la Charia dans certaines régions de Grande-Bretagne. Cette mélasse à l’orange idéologique que le candidat Cameron étale sur ses tartines au breakfast a fini par lui coûter cher. D’après les derniers sondages, les Tories ne pourraient n’avoir qu’une majorité relative au Parlement, ce qui les obligeraient à former une coalition. Avec qui ? Au vu du relativisme des idées de David Cameron, une alliance avec les Liberals Democrats, le parti centriste-opportuniste de l’échiquier, serait la plus naturelle. Mais sur le web, les blogs conservateurs rejettent avec force une cause commune avec les « Lib-dem ». L’un d’eux préconise une alliance de Cameron avec les partis unionistes d’Irlande du nord, en vue de former une coalition traditionnaliste et anti-Europe, dans la lignée du conservatisme à la Thatcher. Ce blog s’intitule Cranmer, du nom de l’archevêque de Canterbury qui bénit la Réforme anglicane d'Henry VIII. La référence n’est pas innocente.

Car de son côté, et encore en fonctions pour quelque temps, le Premier ministre Gordon Brown a lui aussi fait une promesse de campagne. Et elle est de taille : si le Labour gagne les élections, il abolira la loi de 1688 qui interdit à un catholique de devenir roi d’Angleterre. C’est vrai que maintenir une telle juridiction dans la mesure où le nombre de pratiquants catholiques est devenu plus nombreux que celui d’anglicans et où l’évêque de Fulham, the Right Reverend John Broadhurst, a lui-même annon en octobre 2009 sa conversion au catholicisme (« l’expérience anglicane est terminée » dit-il) avait quelque chose d’absurde. Il paraît même qu’être catholique est le dernier chic de la City, dans le pays le plus hype du monde. Quoique fils d’un pasteur de Glasgow, Gordon Brown a pris acte des changements et a eu l’audace de bouleverser les traditions établies. Le symbole est fort. Dans un pays où tant de martyrs furent pendus, dépecés et brûlés à Tyburn. Toutes mes félicitations au Premier ministre. Well done, Mr Brown !

Qu’en pense son fringant rival ? Interrogé dimanche 15 novembre 2009 lors de l’émission de la BBC Songs of Praise, David Cameron, peut-être désireux de donner des gages à son parti fé
brile, renouait plus que jamais avec l’image de l’homme d’Etat britannique protestant : « Je suis chrétien (ce qui veut dire anglican chez les Grands-bretons), je prie, je vais à l’église ». Pour le coup, il est bien conservateur.

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