Mon innocence est ma forteresse

Marquis de Montcalm (1712- 1759).

jeudi 21 janvier 2010

L'avortement, une passion américaine

Dimanche 17 janvier 2010, des collectifs d’associations opposées à l’avortement défilent dans Paris. Près de 20 000 personnes, le milieu bon chic bon genre est surreprésenté, pour le meilleur et pour le pire. Quelque chose attire le regard : des pancartes multicolores rectangulaires « pour la vie », « l’avortement tue », « stop à l’IVG », inconnues dans les manifs françaises, hérissent la foule. Sur le podium, les organisateurs donnent le micro aux délégations étrangères. Après les Espagnols, très applaudis, un homme d’un certain âge se présente comme hollandais. Flanqué d’un traducteur en français, il harangue alors le rassemblement comme aucune gentille mère de famille ne l’avait fait auparavant. « Je n’étais pas prévu dans le plan de mes parents ! Si l’avortement avait été légalisé à cette époque, je ne serai pas là ! Avant je me fichais de ces questions, mais j’ai rencontré Dieu dans ma vie et je suis devenu pro-life (I met God and I became pro-life) ! Est-ce que vous êtes pro-life, ici ? Répondez ! ».

Cette Marche pour la vie se veut être une réponse directe à la classe politique française, en défilant précisément le jour de l’anniversaire de la promulgation de la loi Veil, qui a légalisé l’avortement en France il y a trente-cinq ans. Pourtant, les panneaux qui « flashent », les ballons et le formidable tribun néerlandais qui émaille son discours de jokes et qui en appelle à l’Eternel sont directement d’inspiration américaine. Les évêques espagnols ont beau pousser un million de leurs ouailles dans les rues de Madrid, les Irlandais et les Polonais ont beau défendre bec et ongles leur légalisation anti-avortement, le cœur du mouvement « pro-life » bat de l’autre côté de l’Atlantique, aux États-Unis. Depuis le controversé arrêt Roe vs Wade rendu par la Cour suprême de 1973, qui a levé les interdictions d’interruption de grossesse au nom du 14e amendement défendant la vie privée, l’avortement y est un débat public. Plus que cela, c’est une passion qui divise profondément le pays. Ce combat tire bien sûr sa source du facteur religieux ; l’océan des Églises protestantes américaines est très majoritairement contre, les communautés évangéliques en tête. Mais la contestation de l’arrêt de 1973 est également juridique : la Cour suprême fédérale est sortie de son domaine de compétence pour entrer dans celui des États fédérés. Par cette décision, l’avortement devenait un droit constitutionnel fabriqué de toutes pièces, outrepassant la législation des États et laissant le champ libre à la jurisprudence qui autorisa progressivement l’avortement jusqu’à la naissance.

Le lobby pro-life américain est le plus actif du monde. Il est doté de moyens financiers importants, compte sur des relais dans les hautes sphères, dispose de structures locales développées et d’innombrables équipes de bénévoles motivés. Le réalisateur Jason Reitman s’est inspiré de leurs arguments pour son film Juno, histoire louée par la critique d’un héroïque petit bout de femme de 16 ans qui décide de garder son bébé et de le confier à des parents adoptifs. En face, le lobby « pro-choice », gardien du droit à l’avortement, plutôt urbain, hollywoodien et sécularisé, rassemblé derrière le puissant Planning familial américain et autour duquel gravite les groupes de pression progressistes. La fracture entre les deux camps est loin d’être tranchée. Si une courte majorité des Américains (51 %) est actuellement contre l’avortement, cela n’a pas toujours été ainsi.

A chaque élection, députés, sénateurs, gouverneurs et présidentiables doivent prendre parti sur le sujet. Depuis 2004, un document officiel des évêques américains frappe d’excommunication les politiciens qui refusent de condamner l’avortement, une chose impensable en France alors que les hommes politiques ne fréquentent guère les paroisses. Imaginez l’ancien maire de Neuilly se rendant à sa messe annuelle pour flatter son électorat catholique. Et le prêtre donnant la communion lui répondant « Désolé, je crains que cela ne soit pas possible… » Avouez que ce serait un signal fort, bouleversant pour les fidèles ! Les catholiques américains, eux, ne plaisantent pas en matière d’éthique. Venu prononcer un discours devant les étudiants de la prestigieuse université catholique Notre-Dame, dans l’Indiana, le président fraîchement élu Barack Obama a dû se frayer un chemin à coups de policiers matraqueurs dans une foule de manifestants pro-life hostiles à la politique très libérale du nouveau chef de l’État (fédéral) en matière d’avortement : les images de prêtres âgés menottés par les services de sécurité ont choqué plus d’un Américain. Cette véritable « affaire Notre-Dame » a exacerbé les passions outre-Atlantique ; le doyen de l’université ayant invité le président à recevoir un doctorat honoris causa le 17 mai 2009, l’honneur rendu à un homme aux idées sur le respect de la vie humaine opposées à l’enseignement de l’Église a fait scandale. Le cardinal Francis George, président de la conférence épiscopale des États-Unis, déplorant son « extrême embarras », fit preuve d’une ironie glacée très anglo-saxonne : « Il est clair que Notre-Dame n’a pas compris ce que signifiait être catholique quand elle a rendu publique l’invitation ». Différence fondamentale avec la France : aux États-Unis, l’Église catholique fait entendre sa voix sur les sujets de société.

C’est aussi aux États-Unis que les défenseurs de la vie fournissent le plus d’arguments à leurs adversaires. Le 31 mai 2009, jour de Pentecôte, le Dr George Tiller, avorteur notoire ayant provoqué le décès d’une jeune fille de 19 ans, a été abattu en plein dimanche matin par un militant pro-life alors qu’il assistait au culte luthérien à Wichita, dans le Kansas. « Des coups de feu dans une église, quelle horreur ! » faisait dire Lampedusa à un de ses personnages dans son roman Le Guépard. De plusieurs cas similaires, quelques talentueuses plumes acquises au dogme de l’avortement sans douleur et libérateur de la femme en ont fait la propagande efficace d’un « terrorisme chrétien ». Comme si ses actes criminels étaient comparables aux attentats islamistes… Si le lobby pro-life est puissant aux Etats-Unis, le lobby pro-IVG règne en Europe, se déchaînant à Bruxelles pour étendre la légalisation de l’avortement dans toute l’Union européenne et imposant une loi du silence assourdissante aux femmes enceintes piégées dans une société où tout pousse à supprimer l’enfant imprévu. Insensibles à leur détresse et aveuglés par une idéologie individualiste, les chiens de garde du « choix de la femme » sont souvent aussi féroces que certains prêcheurs radicaux.

Au fait, qui était Jane Roe ? Derrière le pseudonyme, une jeune femme droguée et alcoolique nommée Norma McCorvey récupérée par des avocates féministes, qui avaient besoin d’une plaignante enceinte pour plaider le droit à l’avortement. Contrainte d’inventer un faux témoignage de viol pour convaincre les juges, elle fut ensuite abandonnée après avoir permis au camp pro-choice de l’emporter à Washington. Elle traversa des années de solitude et de souffrance, puis embrassa le christianisme en 1995. Norma McCorvey a depuis dénoncé la manipulation dont elle a été victime et milite aujourd’hui pour l’annulation de l’arrêt de 1973. Elle fut logiquement arrêtée sur le campus de Notre-Dame lors de la venue de Barack Obama.

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