Le Marquis est tombé sur une analyse fort intéressante: signée Roland Hureaux, dans Marianne, elle suggère que l'actuelle campagne contre l'Église catholique est une riposte anglo-saxonne contre le rapprochement géopolitique de Rome avec le monde orthodoxe. L’auteur fait observer que dans le schéma de la Guerre des civilisations de Samuel Huntington, la civilisation « occidentale », Amérique du Nord et Europe de l’Ouest, tant catholique que protestante, s’opposait à la civilisation « orthodoxe », Russie, Bulgarie etc., alors que les différences théologiques entre orthodoxes et catholiques sont beaucoup moins fortes que celles qui séparent Rome des différentes communautés protestantes. C’est cette césure qui pourrait aujourd’hui être remise en cause. En effet, alors que l’essentiel des attaques dirigées contre le pape pendant le scandale des prêtres pédophiles provenait du monde anglo-saxon, la Russie a soutenu seule sur la scène internationale un Vatican harcelé de toutes parts. Le président russe Dmitri Medvedev s’est récemment rendu à Paris pour honorer la couronne d'épines du Christ en la cathédrale Notre-Dame, et la Pravda, l'ancien organe de presse du Parti communiste (!), qualifie de "déloyales" les accusations portées contre Benoît XVI.
Pourtant, l'Église catholique et le monde anglo-saxon n'étaient-ils pas les meilleurs alliés objectifs au temps de la Guerre froide, Jean-Paul II d'un côté et Ronald Reagan de l'autre, contre l'Union soviétique ? Force est de constater que les temps ont changé. L'institution catholique est perçue aujourd'hui comme un vestige du passé, une survivance dans notre monde moderne, libéral et ultrarapide, dominé par l'hégémonie anglo-saxonne d'inspiration protestante. Cette hostilité larvée s'est accentuée avec la montée du catholicisme aux États-Unis, centre mondial de l'univers protestant, qui pose problème. Première dénomination religieuse aux États-Unis avec environ 70 millions de membres, l'Église catholique reste minoritaire au sein d'une nation protestante mais dépasse toutes les autres Églises baptistes, méthodistes, luthériennes, pentecôtistes et presbytériennes, aidée par l'immigration mexicaine et la démographie galopante des Hispaniques, qui représentent 14 % de la population américaine. Or, la redéfinition des équilibres ethniques dans les années à venir indique que le poids du catholicisme ira croissant: dans 30 ans, les Hispaniques seront 100 millions, alors que la sécularisation et la baisse démographique chez les Blancs protestants ira en s'aggravant. Non seulement les WASP (White Anglo-Saxon Protestants) ne seront plus qu'une minorité, mais le protestantisme américain lui-même sera dans une situation minoritaire, pour la première fois depuis l'arrivée des Pères pèlerins ! Le très officiel rapport de 2004 du National Opinion Research Center de l'Université de Chicago indique que le pourcentage de protestants aux États-Unis est tombé de 64 % en 1993 à 52 % en 2002, tandis que le nombre de sans-religion a augmenté de 9 % à 14 %. Or, les athées et agnostiques sont très largement issus du protestantisme: les familles se définissent volontiers comme méthodistes et baptisent leurs enfants mais délaissent le culte, et la génération suivante est indifférente en matière de religion. La montée en puissance médiatisée des évangéliques est certes impressionnante, mais elle cache la sécularisation rapide de la société américaine. La perspective de voir les Blancs protestants, qui ont façonné et incarné les États-Unis, réduits à l'état de minorité est pour les élites WASP un cauchemar. Dans sa vieillesse, Huntington avait même prédit un futur clash des civilisations sur le sol américain, entre Hispaniques catholiques et Anglo-saxons protestants.
Pour contrebalancer l’influence catholique aux États-Unis, certains dirigeants américains réfléchissent alors à l’opportunité de favoriser « l’islamisation » de l’Europe, mère-patrie de l’Eglise romaine. La création par Washington de deux États musulmans au cœur du continent, la Bosnie et le Kosovo, le soutien appuyé de Barack Obama aux communautés islamiques européennes et la diffusion du modèle multiculturaliste anglo-saxon, qui permet voile, minarets et prêches radicales, vont dans ce sens et contribuent à affaiblir la cohérence du projet politique européen, ce qui joint l’utile à l’agréable.
La campagne anti-pape actuelle se déroule alors en terrain conquis, car la culture anglo-saxonne a longtemps traité le prêtre romain comme un bigot ou un pervers. Dans Sin City, la BD ultraviolente adaptée au cinéma, c'est un prélat catholique irlandais, le Cardinal Patrick Roark, qui tient le rôle du méchant absolu: pédophile, corrompu, proxénète, en cheville avec la mafia de Boston, il est même cannibale ! Ce dernier vice fait écho à une opinion répandue chez les protestants américains, pour qui l'Eucharistie des catholiques, censée être le corps du Christ, est un rituel d'anthropophages. L'auteur de Sin City, Frank Miller, est par ailleurs un néoconservateur décomplexé, adepte du choc des civilisations d'Huntington, qui compare l'islam à un "fascisme" en puissance. Contre le catholicisme, se recoupent deux tendances : le fondamentalisme protestant, qui perçoit traditionnellement l’Eglise romaine comme un agent étranger (un tract significatif : « nous sommes citoyens américains, et nous ne voulons pas obéir à un prince italien déchu ») et qui a engendré des générations de réflexes et de préjugés, et le libéralisme postmoderne, dont la vision de l’homme heurte radicalement la morale de l’Eglise. Les médias qui ont mené la charge contre l’Eglise catholique, le New York Times, Time et The Economist en Grande-Bretagne ont un certain nombre de points communs : très libéraux, ayant un fond de culture protestante et favorables au mariage gay. A ce courant anticatholique, il faut ajouter l’influence non négligeable des lobbies israélites ; malgré des interventions remarquées de la part de figures du monde juif, comme le rabbin américain David Dalin, grand défenseur du pape Pie XII, le rabbin Alon Goshen-Gottsein ou l’ex-maire de New York Ed Koch, qui a écrit dans le Jerusalem Post une tribune de soutien à Benoît XVI, la majorité des Juifs d’Israël et des États-Unis, vers qui sont tournées les communautés d’Europe, reste très hostile à l’Eglise catholique.
Autre pôle du monde anglo-saxon, le Royaume-Uni n'a pas été en reste. Dès les premières vagues du scandale, l'archevêque de Canterbury, chef de l'Église d'Angleterre (Church of England) a aussitôt déclaré dans les médias britanniques que "l'Église catholique a perdu toute crédibilité" ; sans dou

Cette hostilité s’expliquerait donc par le rapprochement opéré par Benoît XVI entre Rome et la chrétienté orthodoxe. Depuis le début de son pontificat, le pape n’a pas ménagé ses efforts en direction des Églises d’Orient, notamment de l’Eglise russe. En effet, le patriarcat de Moscou rassemble le plus de fidèles du monde orthodoxe (environ 100 millions) et s’est imposé avec l’effondrement du communisme et le renouveau spirituel à l’Est comme le premier interlocuteur orthodoxe, aux dépends du patriarcat historique de Constantinople, isolé en Turquie. Le patriarche de Russie Alexis II avait noué des relations courtoises avec Benoît XVI, par cardinaux interposés, et son successeur Cyrille, qui a rencontré le pape alors qu'il était encore métropolite de St pétersbourg, s’inscrit dans la même démarche. En fait, l’orthodoxie slave est confrontée aux mêmes défis que le catholicisme occidental : les Églises soumises ou persécutés par les régimes marxistes ont retrouvé la liberté et leur place ; les monastères fleurissent en Russie, en Roumanie et en Serbie, tandis que les popes se montrent et s’imposent dans la société, mais si l’Eglise est à nouveau visible, elle demeure fragile. La pratique religieuse dans les pays redevenus orthodoxes est beaucoup plus faible que dans les États catholiques (moins de 4 % en Russie), les structures ecclésiales sont saignées et les fidèles sont récupérés par des dirigeants, souvent ex-communistes, qui jouent sur un registre identitaire et nationaliste, saupoudré de christianisme culturel. Par ailleurs, les anciens théâtres de la dictature du prolétariat sont devenus des paradis du libéralisme économique sauvage, avec la destruction du lien social et des valeurs qu’il entraîne. Enfin, les Églises orthodoxes partagent la même vision de l’homme et de la bioéthique que l’Eglise catholique (refus de l’avortement, du mariage homosexuel, etc). Pour l’instant, un acte décisif comme la visite du pape en Russie ou la proclamation de la fin du schisme de 1054, ce qui est théologiquement possible, n’est pas pour demain. Les orthodoxes cultivent le souvenir historique jusqu’à l’extrême et remâchent encore le sac de Constantinople par les

Bref, la crise de l'Eglise catholique, qui semble être d'abord une crise des vocations, pourrait être le déclencheur d'une unité des traditions religieuses. Il se pourrait de même dans un avenir proche que le Vatican réfléchisse sérieusement aux pratiques orthodoxes, comme l'ordination des hommes mariés, la permission d'un remariage religieux pour les divorcés, la fluidité entre le monde régulier et le monde séculier, l'implication des institutions religieuses dans le politique. Une des réponses de la crise papale se trouve sans doute à l'Est.
J'aime votre blog.
RépondreSupprimerCher Anonyme, vous m'en voyez charmé.
RépondreSupprimerBonjour Montcalm,
RépondreSupprimerJe voudrais revenir sur certains points qui sont d'après moi des erreurs.
Tout d'abord, non, les problèmes théologiques avec les orthodoxes ne sont pas résolus. Par exemple, dans le Credo, nous disons que l'Esprit procède du Père et du Fils, alors que les orthodoxes disent qu'il procède du Père par le Fils. Cela a des conséquence théologique immenses, et il y a d'autres problèmes.
Je bute aussi sur les solutions que l'Eglise catholique devrait aller chercher à l'est, selon vous. Le mariage des prêtres (ou plus exactement l'ordination des hommes mariés) est une possibilité, mais il semble que depuis 1000 ans nous ayons pris un chemin courageux et porteur de beaucoup de fruits. En ce qui concerne l'intrusion de l'Eglise dans des sujets politiques, ou le remariage des divorcés, il me semble que Jésus Christ s'est clairement exprimé ("il faut rendre à César ce qui appartient à César, et à Dieu ce qui est à Dieu", ou "ce que Dieu a uni, que l'Homme ne le sépare pas").
Enfin , je ne partage pas votre analyse lorsque vous parlez d'une crise des vocation dans l'Eglise catholique. Il y a bien une crise "numérique", mais c'est une crise de Foi, et non de vocation (parmi les jeunes, la proportion des croyants voulant consacrer entièrement leu vie au Seigneur est à peu près constante depuis des siècle, mais le nombre de croyants a dramatiquement chuté). Et elle touche le monde occidental, pas toute l'Eglise catholique (ici en Côte d'Ivoire, l'Eglise est en plein essor !).
Mises à part ces remarques, je trouve votre article intéressant, il rejoint un autre article que j'avais lu sur ce sujet.
Hideyuki
Merci Hideyuki pour vos remarques.
RépondreSupprimerJe ne prétends pas que l'Eglise catholique romaine doit se calquer sur l'orthodoxie, mais je pense -cela n'engage que moi- que certaines pratiques de nos frères de l'Est ne sont pas inintéréssantes. La non-ordination des hommes mariés est une question de discipline, et, même si le célibat sacerdotal est un chemin béni par Dieu, il me semble faux d'en faire un dogme de foi. Sur ce point précis, je pense que l'Eglise ne devrait pas avoir peur d'y réfléchir.
La crise des vocations épargne certes de nombreux pays, mais il n'empêche qu'elle est catastrophique en Occident. Je ne me suis jamais rendu en Côte d'Ivoire ; cependant, on m'a rapporté que dans certaines zones, le nombre de prêtres baisse, car la vocation, qui suppose le célibat, n'attire plus autant. A Tahiti, où j'ai vécu 2 ans, il est plus séduisant d'être pasteur et marié que prêtre et célibataire. On ne peut pas comparer les lieux, les temps et les personnes, mais je m'interroge.
Laissons l'Esprit nous éclairer sur ce que nos pauvres raisons humaines ont du mal à discerner.