Le 7 mai, les Britanniques se sont réveillés avec la gueule de bois. Au lendemain des élections législatives tant attendues, le Parlement ne disposait d’aucune majorité distincte ; les conservateurs étaient bien en tête, avec 306 sièges, devant le Labour Party (258), mais ils n’avaient pas la majorité absolue, tandis que les Liberals-Democrats, tout en perdant 5 sièges, restaient la troisième force parlementaire. Finalement, la percée médiatique du leader libéral Nick Clegg dans les dernières semaines de campagne n’aura été que du brouillard sans effet. Toutefois, contraints de conclure une alliance avec ce dernier pour pouvoir gouverner, les deux grands partis ont débuté les négociations officielles. Les conditions des libéraux sont celles-ci : un engagement européen plus poussif de la part du gouvernement britannique (les Lib-Dem sont des centristes modernistes plutôt favorables à l’Union européenne, une position difficile en Grande-Bretagne)et surtout, une réforme du mode actuel de scrutin, qui empêche les partis alternatifs d’être représentés. Des souhaits qui sonnent comme des diktats inadmissibles aux oreilles des conservateurs, qui sont cependant bien conscients que le pouvoir est à portée de main… Pour les conservateurs, ces résultats sonnent comme de cruels désaveux. Le brillant David Cameron avait tout misé sur une victoire éclair, mais son flou idéologique a brouillé les cartes. Assuré à l'automne d'avoir une majorité absolue aux Communes, le leader tory a payé cher son renoncement à convoquer un référendum sur le traité de Lisbonne, alors que les Britanniques étaient très attachés à cette promesse. Le Royaume-Uni demeure intrinsèquement eurosceptique - tellement eurosceptique qu'il est pour l'entrée de la Turquie, Tories et Labour confondus, ce qui tuera l'Europe, malgré l’aveuglement des eurobéats de tous poils qui nient cette évidence.
Pendant que les Tories réfléchissent, les travaillistes ramassent les morceaux, et, par formalisme, ont eux aussi appelé les libéraux à une alliance. Toujours Premier ministre sortant, Gordon Brown s’est même dit prêt à engager un référendum immédiat pour un changement de mode de scrutin. Le Labour a limité la casse grâce à la mobilisation de l’électorat d’origine immigrée, qui s’est massivement déplacé en sa faveur. En effet, une des clés de la politique sociale de Tony Blair a été de se fidéliser les leaders des différentes communautés musulmanes, hindoues, sikhs, antillaises, africaines etc. en échange d’un multiculturalisme très large et très tolérant. Tout était permis, de la burqa à la charia, en passant par les processions hindoues et les turbans sikhs, en échange de la paix sociale et du vote travailliste aux élections. Hélas, les émeutes répétées et les sanglants attentats de Londres n’ont pas amené les élites à revenir sur ce « modèle britannique ». On soupçonne d'ailleurs très sérieusement le Labour au cours de ses 13 années de règne d'avoir accéléré l'immigration de masse à des fins idéologiques et surtout électoralistes. Dans de telles conditions, on ne peut pas s’étonner de la progression, très lente, mais réelle, des partis contestataires et populistes.
La veille du scrutin, une vidéo de Bob Bailey, ex-Royal Marines et candidat du British national party, le parti d’extrême-droite, aux prises avec des jeunes de banlieue fit le tour d’Internet. Les médias hurlèrent : « un politicien fasciste frappe de jeunes asiatiques ! » (asian désigne en fait les immigrés pakistanais, qui sont aux Britanniques ce que les Turcs sont aux Allemands et les Maghrébins aux Français), mais pour le BNP, c’était un incident inespéré pour confirmer son diagnostic alarmant d’une société communautaire en faillite. Pris au piège par le scrutin uninominal à un tour, le BNP a certes échoué à gagner son premier siège, le leader du parti Nick Griffin n’arrivant qu’en troisième position dans une circonscription londonienne, ce petit parti est passé de 40 000 voix en 2001 à 600 000 aujourd'hui, soit 3 fois plus de suffrages que le Green Party et les partis unionistes irlandais, pourtant représentés.
Crée en 1982, le BNP est dirigé depuis 1999 par Nicholas ‘’Nick’’ Griffin. Son prédécesseur John Tyndall était un authentique raciste biologique, persuadé de la supériorité de la race blanche « caucasienne », et violemment antisémite ; sous sa houlette, le BNP groupusculaire était une officine améliorée du National Front, club de skinheads qui faisait la chasse aux immigrés dans les rues de l’Est londonien. Diplômé en droit de Cambridge, Nick Griffin est beaucoup plus mesuré dans ce folklore fascisant, qu’il tente timidement d’abandonner au profit d’un populisme de droite classique : depuis son arrivée à la tête du parti, le BNP ne s’attaque plus aux Juifs, aux Hindous et aux Sikhs, préférant se concentrer sur l’islam. Le titre de l’organe de presse du parti, Identity, est à lui seul un programme ; terminé la lutte de l’homme blanc de Kipling, voici le temps des défenses identitaires. Le BNP surfe sur des thèmes porteurs : l’immigration de masse, le multiculturalisme débridé, la corruption des élites et la radicalisation des communautés musulmanes britanniques. Il s’oppose à l’Union européenne et joue la carte de la guerre culturelle. Une de ses affiches de campagne pour ces élections proclamait : « What would Jesus do ? Vote BNP ! », histoire d’utiliser une référence commune dans un pays culturellement protestant et très inquiet de son avenir. Le chômage structurel, la montée des tensions communautaires et l’explosion de l’insécurité et de la criminalité dans les zones urbaines et ouvrières ont progressivement favorisé le BNP auprès d’une population anciennement de gauche qui ne se reconnaît plus dans les élites. Le 1er mai 2008, le parti fait élire son premier conseiller municipal à la Great London Assembly, et en juin 2009, Nick Griffn et Andrew Brons étaient élus députés européens.
Nick Griffin s’est attaché à donner à son parti une image présentable. Depuis sa création, seuls les « Blancs caucasiens » pouvaient militer au BNP, mais cette discrimination racialiste folklorique a fini par être abolie à la demande de son leader. Désormais, le parti compte des militants sikhs et noirs, et un conseiller municipal juif. En octobre 2009, Nick Griffin fut l’invité de l’émission télévisée de la BBC Question Time, où il s’efforça de paraître sympathique et pugnace devant un public très hostile. Mais la « dédiabolisation » a ses limites. On ne renie pas son passé, et le chef du BNP ne dissimule d’ailleurs pas ses amitiés avec le Grand sorcier du Ku Klux Klan David Duke et le suprémaciste blanc américain William Luther Pierce. Par ailleurs, l’alliance conclue entre le BNP et le Front national français horrifie les médias britanniques, qui ne connaissent de Jean-Marie Le Pen que ses dérapages antisémites. De fait, le parti fait face à une opposition unanime des partis, des syndicats et des faiseurs d’opinion. A l’instar de SOS Racisme en France avec le Front national, le groupe United Against Facism a été crée au Royaume-Uni dans le but de riposter au BNP. Chouchoutés par les médias, ces « antifascistes » se comportent pourtant comme de véritables SA. Qu’on en juge : en novembre 2008, le site du BNP fut piraté par des « hackers démocrates », sa liste de 12 000 membres fut rendue publique et des militants de l’UAF firent la chasse aux « fascistes », saccageant leurs habitations ou les marquant d’une affiche…
Le BNP reste donc pour l’instant très marginal, alors que Nick Griffin craint de se faire déborder sur sa droite par des éléments incontrôlables, comme l’English Defense League, mouvement crée spontanément en juin 2009 par des hooligans, dont la couverture médiatique et l’activisme sont disproportionné par rapport à son nombre de militants. L’EDL organise des manifestations dans les grandes villes anglaises où apparaissent des blasons de St Georges et des drapeaux anglais ; son but est officiellement de lutter contre l’instauration de la charia en Angleterre. Leur dernière action, l’occupation de la mosquée en construction à Dudley le 3 mai 2010, a été couronnée de succès, car la mairie a annulé le contrat et déplacé le chantier. Ces évènements confirment qu'il y a un réel problème sécuritaire et communautaire en Grande-Bretagne: qu'il soit rouge-orange ou orange-bleu, le nouveau gouvernement devra s'y atteler quickly !
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