A la tête d'une coalition baroque entre les libéraux-démocrates et les conservateurs, David Cameron est le nouveau Premier ministre britannique, mais sa marge de manœuvre est limitée par ses propres contradictions.
C'est officiel: depuis ce matin, les conservateurs et les libéraux sont parvenus à mettre en place un gouvernement de coalition. David Cameron devient donc Premier ministre, et Nick Clegg, son adjoint en tant que Deputy Prime minister. La veille, le sortant Gordon Brown avait quitté la résidence du 10 Downing Street, avec sa femme et ses deux enfants, sous les applaudissements de la foule. Pour son départ de la scène politique, le rude écossais, sans charisme, mal dans son costume et héritier de l'héritage catastrophique de Tony Blair, a su trouver les mots qui ont touché le public. Ce fils de pasteur à l'aspect rigoureux va se consacrer aux œuvres de charities et laisse la place aux deux jeunes loups de l'échiquier. Cameron et Clegg ont certains points communs: jeunes (ils ont chacun 43 ans), télégéniques, issus du sérail, passés par les plus prestigieux établissements et dévorés par l'ambition, ces personnages partagent aussi peu ou prou la même vision conformiste de l'ère post-démocratique dominée par le marché dans laquelle nous vivons. C'est pourquoi on s'interroge légitimement: quid des disputes annoncées entre les deux nouveaux hommes forts du gouvernement britannique sur des dossiers comme l'Europe ou la réduction des déficits ?
Un des sujets qui fâchent est en effet l'Europe. Les conservateurs, héritiers de Churchill, qui grommelait à l'annonce de la signature du Traité de Rome: "We are with it, but not on it" (nous sommes avec ça, mais pas à l'intérieur), ont toujours cultivé une image eurosceptique, pour s'attirer les suffrages des électeurs anglais jaloux de l'indépendance de leur île. Les libéraux-démocrates, eux, sont moins sévères. Leur leader Nick Clegg, de mère néerlandaise et de père d'origine russe, marié à une espagnole catholique, est un européiste bon teint ; il suggère de resserrer les liens entre le Royaume-Uni et l'Union européenne et d'adopter l'euro comme monnaie nationale. David Cameron, lui, a martelé qu'il souhaitait rapatrier (on ne sait comment) des pouvoirs de Bruxelles à Londres, et s'était prononcé pour un référendum sur le Traité de Lisbonne: première promesse qu'il n'a pas tenue, et qui lui a fait perdre des voix parmi les petites gens. En outre, Cameron avait procédé en juin 2009 au retrait des conservateurs du Parti Populaire Européen, groupe au Parlement européen rassemblant les divers partis de droite et de centre-droit de l'Union, jugé trop fédéraliste et trop pro-européen, pour former un groupe dissident avec des partis polonais, tchèque et hollandais. Une initiative qui lui avait valut la reconnaissance des souverainistes de tous poils, qui pensaient trouver en lui le porte-parole des États-nations contre la technocratie de l'UE. En réalité, Cameron, en britannique, est un pragmatique. Sa ligne de conduite a toujours été dictée par son intérêt électoral et les intérêts de son pays. La Grande-Bretagne est pour une Europe capitaliste et libérale, vaste marché à ciel ouvert sans projet politique. Pour ce faire, l'adhésion de la Turquie musulmane empêcherait définitivement toute construction identitaire commune aux peuples européens. Quant à la façade eurosceptique du discours conservateur, il est payant lors des scrutins, dopé sur son aile droite par le parti UKIP de Nigel Farage, ancien député tory parti en guerre contre l'Europe, dont le mouvement, arrivé deuxième aux élections européennes de 2009, a recueilli plus de 900 000 voix lors des dernières élections législatives, soit beaucoup plus de suffrages que tous les autres tiers partis. En fait, David Cameron maintient un semblant de formalisme pour continuer à attirer l'électeur, il fustige l'Europe, fulmine contre la "Broken Britain", la société névrosée et violente que le communautarisme travailliste a produit, et promet des mesures sévères en matière de sécurité et de paix civile, mais sur le fond, il dit oui à tout et passe pour un séduisant moderniste pro-gay, open-minded et consensuel.
Simple formalisme, peu de contenu et un reste de programme en réalité très proche de celui de ses adversaires, Cameron n'est finalement que l'homme de son temps. Passons sur le fait que, comme leader d'une nation européenne, il est pieds et poings liés par Bruxelles, qui légifère désormais davantage que le Parlement de Westminster. Ce qui est aujourd'hui notable, c'est la confusion des idées et des positions qui règne aujourd'hui dans les classes politiques. Le Royaume-Uni est un bon exemple: que fait un Tony Blair, prétendument "socialiste", avec un Georges W. Bush, réputé néo-conservateur ? Et pourquoi trouve-t-on en France un Nicolas Sarkozy dit de droite avec des "progressistes" autoproclamés, Bernard Kouchner et Eric Besson en tête ? La gauche française qui tient le haut du pavé médiatique et culturel est incroyablement consensuelle et conformiste. La droite brûle ce qu'elle a adorée hier et adore la modernité comme nouvelle idole. Et pendant que fleurissent aux marges les groupuscules ou partis contestataires et marginaux, la troisième voie tant attendue est désavouée par les électeurs eux-mêmes, qui ne parviennent pas à juste titre à établir des différences. Ce qui se passe est pourtant simple: avec la marche à l'ultralibéralisme-roi, les revendications individualistes s'exacerbent, les institutions disparaissent et les convictions qui tenaient à des repères s'effondrent. Vous avez aimé l'ouverture ? Vous adorerez les combines de l'Union européennes. Ainsi le président de la Commission européenne José Manuel Barrosso, ex-maoïste devenu libéral et atlantiste, se sent aussi à l'aise avec la gauche qu'avec la droite du Parlement européen. Les eurodéputés Cohn-Bendit et Bayrou, qui se chamaillent sur les plateaux, sont dans l'hémicycle copains comme cochons, tandis que les divergences partisanes se brouillent dans le magma de la nouvelle idéologie, l'argent et les individus contre les États-nations, comme on le voit pour la Grèce.
Il faut donc s'attendre à un retour de Cameron dans le beau concert idéaliste de l'UE. Nicolas Sarkozy confiait récemment une remarque étonnement juste: "Il a commencé eurosceptique et il finira pro-européen. C'est la règle." Mais cette ultime pirouette politique ne règlera pas le scepticisme croissant des différents électorats européens. Avec des taux d'abstention catastrophiques dans toute l'Union, la démocratie représentative est en crise, sans que les élus ne songent un instant que cette crise est largement due à la nouvelle technocratie qui s'installe. Au contraire, la demande de politique n'a jamais été aussi forte, mais elle ne rencontre pas d'offre qui puisse la satisfaire. Sauf chez les mouvements populistes, qui progressent à des échelons divers, et qui tirent profit des différents désaveux populaires, du Traité constitutionnel européen trois fois rejeté, à l'interdiction des minarets approuvée. Ces derniers "coups de gueule" horrifient les élites, qui doutent encore plus de la capacité du peuple à participer aux décisions. La régression démocratique alimentant le populisme, nous sommes partis pour un bon cercle vicieux.
Lors de sa première conférence de presse, David Cameron se félicitait avec Nick Clegg n'inaugurer "une nouvelle manière de faire de la politique". Il a raison. Brader ses convictions au service du bien commun pour se rallier à la loi de la finance et du marché, c'est bien une nouvelle façon de faire de la politique. Si nous n'y prenons pas garde, elle risque de se généraliser.
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