Mon innocence est ma forteresse

Marquis de Montcalm (1712- 1759).

dimanche 16 mai 2010

Le conservatisme en quête de lui-même


Au lendemain des élections régionales en France, un article mis en ligne par la Fondation de service politique déplorant la situation dramatique dans laquelle se trouvaient les différents partis, s'exclamait:"Il manque un parti conservateur". Ce souhait n'est pas nouveau, il est même profondément ancré dans une certaine société française. Chez les estampillés catholiques-donc-de-droite-bien-sentie, par exemple, un réflexe grégaire les pousse à se dire "conservateurs" à tout bout-de-champ. Rejetant l'extrémisme d'un Le Pen et l'opportunisme malsain d'un Sarkozy, ce "conservatisme" autoproclamé français, de droite, patriote, paternaliste, souverainiste, moral, incarné par Liberté politique, les Contribuables associés et le magazine BCBG Valeurs Actuelles, erre depuis une bonne décennie à la recherche d'un champion. Pour beaucoup, les bourgeois plan-plan et les paroissiens-Jaguar comme les petits artisans et commerçants respectueux de l'ordre et de l'autorité, ce fut Nicolas Sarkozy et sa "rupture", mais les indices tendent à penser que cette embellie est finie. Et comme aucune figure alternative ne se présente, certains se projettent chez ces Anglo-saxons qui fascinent tant. Eux, au moins, disposent d'une droite clairement identifiée "conservatrice", avec des labels officiels et des positions connues. Et le terme conservative en anglais, forgé par le brillant Premier ministre britannique Benjamin Disraéli au XIXe siècle, ne désigne-t-il pas la conservation des traditions et des institutions ? La conservation du bien commun ?

Le site E-deo, qui ne cache pas son militantisme catholique, et se revendique comme "portail conservateur de ré-information", est caractéristique de ce parti-pris spontané. Son mot d'ordre pour les élections britanniques était de voter pour les conservateurs, alors même que David Cameron est un libéral favorable au mariage homosexuel et tuti quanti. Sans doute nos intrépides blogueurs penchent plus vers le paléoconservatisme, une tendance du conservatisme américain attaché aux valeurs morales et familiales, que vers le "New Tory" médiatique et consensuel de Cameron, mais l'ambiguïté demeure. De fait, l'étiquette conservatrice ne semble plus pouvoir coller à ses partisans. Le conservatisme d'aujourd'hui, tel que celui qu'on va trouver chez les Anglo-saxons, est politiquement correct à souhait, esclave de la loi du marché qui détruit les barrières institutionnelles, traditionnelles et morales, et fâcheusement libéral - dans le sens américain du terme: libéral sur les questions économiques, et libéral au regard des mœurs. C'est le conservatisme de Time et de The Economist qui s'installe. Même dans un pays aussi fantasmé que les États-Unis, le conservatisme à la Ronald Reagan qui se drapait dans les valeurs morales saupoudrées du puritanisme des preachers, n'a plus la cote. La bourgeoisie chic sécularisée qui alimente les caisses électorales des Républicains est devenue beaucoup plus modérée (ou indifférente) au sujet de l'avortement et du mariage homosexuel. La série aseptisée américaine Brothers and Sisters, qui raconte les aventures d'une famille californienne très aisée républicaine - donc "conservatrice" - en est une bonne illustration: le fils aîné se marie avec son copain après être sorti avec un pasteur gay, tandis que la sœur épouse de sénateur désavoue violemment un présentateur radio caricatural obsédé par Luther et l'homosexualité. Cela se traduit par une évolution politique ; le vice-président néoconservateur de Georges W. Bush Dick Cheney et le gouverneur de Californie Arnold Schwarzenegger étaient plus ou moins du même avis que les démocrates sur les questions de l'avortement et du mariage gay. Récemment, la femme de l'ex-président Bush, qualifié en Europe d'"ultra-conservateur", Laura Bush s'est déclarée favorable au mariage entre personnes de même sexe et à l'IVG. Cette métamorphose modérée et consensuelle du conservatisme anglo-saxon peut certes lui faire gagner du poids, mais a aussi pour effet de le couper de sa base électorale, qui ne se reconnaît plus en lui. Le phénomène est particulièrement visible aux États-Unis ; devant la mollesse toute nouvelle des Républicains sur les questions de société, des franges entières du peuple conservateur se radicalisent, à l'image de la chaîne Fox News, ou s'orientent vers les initiatives post-politiques, comme le Tea Party Movment. Ce dernier, porté sur les valeurs traditionnelles de l'Amérique profonde, est l'antithèse du progressisme bon teint des élites et il semble appelé à jouer un rôle important sur la scène publique.

Si les conservateurs anglo-saxons désertent le terrain des mœurs, c'est pour mieux se jeter dans les bras de la finance. Ils font preuve par ailleurs d'une loyauté indestructible à l'État d'Israël contre le monde musulman, vouent l'Iran aux gémonies et ont applaudis la guerre d'Irak. Ces dernières orientations alimentent le scepticisme de chrétiens, comme le journaliste-blogueur Patrice de Plunkett, qui commentait en mars dernier:

Faut-il croire qu'un parti « conservateur » garantirait la continuité, ferait des réformes « allant au fond des choses » ? Mais qu'est-ce que le fond des choses, aux yeux des « conservateurs » en 2010 ? Voyez les tories anglais et le GOP américain : ultralibéralisme + « choc des civilisations » ; idéologie déstabilisatrice interne et externe ; « réformes » pour priver les pauvres de ce qui les protégeait... Ruptures, non « continuité ». Ce « conservatisme » ne conserve rien : au contraire, il est la matrice de la crise qui ravage le monde. C'est la bourgeoisie destructrice au sens du Manifeste de 1848, ce qui ne rajeunit personne.

Ajoutons à cela les prises de position résolument écolo-sceptiques adoptées par les "conservateurs" américains et surtout canadiens, qui vont pourtant à l'encontre des appels à la responsabilité lancés par le pape Benoît XVI et par la plupart des autorités religieuses réformées. Car ce qui semble gêner certains conservateurs, c'est le point de vue chrétien, la recherche du bien commun prônée par l'Évangile et qui est censé se retrouver dans la doctrine conservatrice. Mais là aussi, le conservatisme semble manquer à l'appel ; ainsi le Premier ministre canadien Stephen Harper, champion de la droite canadienne et protestant pratiquant, se moque de l'écologie et tolère un certain eugénisme latent de l'immigration canadienne (renvoi de petits trisomiques français installés à Québec, parce que "poids pour la société"), même s'il est irréprochable sur la question de l'avortement. Face à ces exemples, les électeurs chrétiens sont pris dans un choix cornélien: voter à droite, pour s'assurer du respect de la bioéthique (quoique ce n'est même plus sûr...), ou voter à gauche, pour tenter de corriger les inégalités sociales ? Pour le catholicisme, le vote de tradition modérée l'a toujours emporté sur le bulletin de vote conservateur, davantage protestant et identitaire. Historiquement, dans les pays anglo-saxons, où le protestantisme s'est identifié à la communauté nationale tandis que les catholiques étaient suspects de double allégeance vis-à-vis de Rome, ce sont les libéraux qui ont aidé le catholicisme à s'émanciper. Et on ne peut pas oublier le soucis social et égalitaire très aigu issu de la religion catholique, qui a amené ses fidèles à préférer le centre ou la gauche à la droite du marché.

Ceci dit, les choses peuvent évoluer. Devant la bonne résistance de l'Église catholique aux aléas du monde moderne et surtout sa visibilité et son influence, plus importante que toutes les congrégations protestantes réunies, les conservateurs semblent réviser lentement leur jugement. Les tories britanniques ont été les meilleurs défenseurs du pape agressé par un communiqué insultant des services du Foreign Office travailliste. Lors de son premier discours sur les marches du 10 Downing Street, David Cameron a repris plusieurs points du mémoire qui lui avait été soumis par les évêques catholiques anglais, comme... la recherche du bien commun ("the common good"), à la grande joie de l'archevêque de Westminister. Au Canada, Stephen Harper a pris des risques politiques importants en refusant de faire participer son pays au financement de l'avortement dans les pays du Tiers-Monde. Le Premier ministre canadien soutient également un
projet de loi déposé en 2007 et adopté en seconde lecture à la Chambre des Communes, qui vise à reconnaître des droits au fœtus. Ce projet législatif arrive au même moment que le congrès annuel pro-vie de Québec, en présence du cardinal Marc Ouellet. S'adressant à des Canadiens francophones inquiets pour leur identité, le prélat a rappelé que "s'il y a eu un peuple qui parlait français pendant des siècles, c'est parce qu'il y avait des familles", un peu dans la même veine que le discours des conservateurs anglophones, qui ferraillent, eux, contre les députés québécois de gauche...

Revenons en France après ce tour du monde. Que faut-il retenir ? D'abord, il s'agit de bien dissocier droite traditionnelle du conservatisme, flexible et fluctuant. Ensuite, et cela s'adresse pour les chrétiens, il s'agit de se libérer des jeux de dupes politiques, de fuir les influences culturelles et sociales pour se concentrer sur le message biblique. Celui-ci ne se présente pas à des élections, mais il reste d'actualité. Et il est révolutionnaire.

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