Mon innocence est ma forteresse

Marquis de Montcalm (1712- 1759).

lundi 26 juillet 2010

France, pays de minables


Le 23 juin dernier, Barack Obama limogeait le général Stanley McChrystal de son poste de commandant de l'ISAF, la force militaire de l'OTAN en Afghanistan chapeautée par les États-Unis. Motif ? Un reportage ravageur du magazine Rolling Stone sur le général et ses adjoints. Le lecteur en a pour son argent: suivi par le journaliste dans son quotidien, McChrystal, entouré d'une bande de bravaches en uniformes, dit tout le mal qu'il pense, entre autres, du gouvernement américain, du vice-président Joe Biden (rebaptisé "Bite Me" ? - "va te faire foutre") et du représentant spécial d'Obama pour l'Afghanistan Richard Holbrooke ("Oh, non, pas encore un mail d'Holbrooke ! Je ne peux même pas l'ouvrir !"). La publication de ces propos a fait grand bruit Outre-Atlantique, obligeant le président Obama à renvoyer sur l'heure le bouillant général et à le remplacer par David Petraeus, ancien chef du United States Central Command, l'organe militaire qui planifie les opérations en Irak et en Afghanistan.

A noter qu'on apprend dans le même reportage que McChrystal n'est pas tendre avec la France et les Français. Le magazine Rolling Stone raconte la venue du général et de son état-major à Paris les 14 et 15 avril derniers, avec au programme une intervention à l'Ecole militaire sur la situation de l'OTAN en Afghanistan. "Pour sauvegarder la fiction comme quoi ils sont nos alliés" précise l'article. Le soir venu, McChrystal se retrouve dans sa suite luxueuse de l'hôtel Westminster de fort mauvaise humeur: il a été invité à dîner par le ministre français de la Défense Hervé Morin, et la perspective de déguster des magrets de canard avec l'homme qui a pourtant ramené la France dans le giron américain lui déplaît profondément. "J'aimerais mieux me faire botter le cul par toute une chambre plutôt que d'aller à ce dîner " hurle le général. Ses aides de camp approuvent : "Ouais, voir des Français ça fait chier." Et toc ! "Le dîner va avec la fonction, sir" tente un des officiers présents ; McChrystal fait un doigt d'honneur: "Et ça Charlie, ça va avec la fonction ?". La sauce est gâtée, le dîner est compromis. Le journaliste de Rolling Stone ose demander avec qui le général va dîner: "un pédé de ministre français" répond l'aide de camp. Voilà Hervé Morin récompensé de sa vassalité envers le Grand frère américain. Les 40 soldats français tués en Afghanistan au nom de la Sainte-Alliance occidentale contre la barbarie islamiste ne valent pas tripette aux yeux du Super Général. Il ne faut d'ailleurs pas en être surpris ; les Américains n'ont jamais eu beaucoup de considération pour le petit pays européen que nous sommes. Déjà, au lendemain de la guerre d'Indépendance, où les navires français dépêchés par Louis XVI avaient aidés les Insurgents contre les Anglais, Benjamin Franklin a préféré signer les premiers accords commerciaux de la jeune République avec Londres plutôt qu'avec Versailles, car on ne pouvait pas faire confiance à la France. Dans la vision simpliste et manichéenne de l'Amérique d'Hollywood, les Français sont des petits coqs arrogants, raffinés et ridicules. Des minables, comme on peut le voir dans We were soldiers, haute référence chez les amateurs de films de guerre, où les vils communistes vietnamiens écrasent les faibles militaires français, contraints de céder la place aux courageux américains menés par un Mel Gibson héroïque. On aurait tort de sourire en évoquant la portée du cinéma dans un pays aussi bon public que les États-Unis. Le film favori de McChrystal est d'ailleurs un films d'action automobile, Talladega Nights, où le méchant est un stupide français maniéré et homosexuel...

Tout ceci est anecdotique. Il
n'empêche, les états d'âme du général McChrystal sont révélateurs du mépris de l'armée américaine envers les supplétifs français. Or, l'argument-phare du ministre Hervé Morin était justement que, une fois revenue dans l'OTAN, la France parlerai enfin d'égal à égal avec Washington ; on est visiblement loin de ce bel idéal pour atlantistes bénis-oui-oui. En voulant jouer au brave petit soldat discipliné aux ordres américains, Morin s'est ridiculisé plus sûrement que l'équipe de France de football lors du dernier Mondial. Cet homme n'aura décidément gagné qu'une seule bataille, celle du tableau d'avancement dans les arcanes du pouvoir (mais à quel prix: déserter le camp de Bayrou avec armes et bagages, ça mérite 12 balles dans la peau, comme dirait l'autre). Ce n'est pas faire preuve d'antiaméricanisme primaire que de blâmer la servitude de nos politiciens face aux États-Unis ; cela relève du simple souci d'indépendance nationale. "Âmes de boue, vous n'avez qu'une envie: devenir esclaves" fulminait en son temps Victor Hugo.

McChrystal limogé, le nouveau patron de l'OTAN en Afghanistan est David Petraeus, un élégant cadet de West Point qui a su se faire bien voir à la fois du président Bush et de son successeur Obama. Il hérite d'une situation de plus en plus difficile sur le terrain, mais a pour lui des préjugés favorables: reprenant les consignes de David Galula, théoricien français de la contre-guérilla, il a développé en Irak une stratégie originale, valorisant le contact avec les populations civiles et évitant les ripostes disproportionnées, tout en mettant sur pied de solides unités d'élite, rapides et mobiles, qui s'appuient sur un réseau d'alliés locaux (à Bagdad, les anciens hommes de Saddam Hussein et les Sunnites). Reste à mettre au point cette tactique en Afghanistan, où les soldats de l'armée nationale afghane s'engagent ou désertent au gré des versements de soldes et des pôts-de-vin des Talibans. David Petraeus réussira-t-il à trouver une issue à un conflit qui semble enlisé pour de bon ? En tout cas, il peut compter sur le soutien sans failles de la France d'Hervé Morin et Sarkozy, et sur l'admiration sans bornes des journalistes français pro-USA, qui le voient comme un futur César digne de vénération.

Ils se trompent ; le Centurion qui rêve du Palais n'est pas Petraeus mais McChrystal. Conservateur virulent tendance Red-Neck, teinté de fondamentalisme religieux (son frère Scott est aumônier militaire pentecôtiste, le genre de révérend obsédé par la venue de l'Antéchrist) et à la limite du racisme, l'ex-général est un ambitieux férocement opposé au progressisme bon teint initié par Barack Obama depuis 2008. Profitant de l'absence de leadership chez les Républicains et de l'incroyable impopularité de la Maison-Blanche au sein du petit peuple américain, il a décidé de jeter l'éponge pour tenter sa chance en politique; d'où son suicide savamment préparé dans les pages de Rolling Stone pour être libéré de ses fonctions militaires. Obama voulait se débarasser d'un général encombrant, il a gagné un futur ennemi politique.

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