Mon innocence est ma forteresse

Marquis de Montcalm (1712- 1759).

samedi 11 septembre 2010

Les pompiers pyromanes

Le monde respire: il vient d'échapper à la Troisième guerre mondiale. Le suspense aura duré une petite semaine et tenu en haleine des millions d'individus sur toute la surface de la Terre, mais la paix l'a emporté. Nous sommes saufs.
Au fait, que s'est-il passé ? Quel est l'élément qui nous a menacé d'anéantissement ? Une invasion chinoise sur l'Europe ? Un putsch nucléaire à Moscou ? Une faillite généralisée des systèmes bancaires ? Absolument pas ; ce qui a fait basculer le monde pendant un moment, c'est une modeste communauté pentecôtiste de cinquante personnes basée à Gainesville, en Floride: le Dove World Outreach Center. Planté devant le hangar surmonté d'une croix qui lui sert d'église, les moustaches broussailleuses et le regard d'acier, son pasteur Terry Jones ressemble comme deux gouttes au prêcheur autoproclamé de la ville de Tombstone dans le mythique film de John Ford, My darling Clementine: un rude bonhomme qui lit la Bible avec détermination sur un amas de poutres pour toute église. Sur le blog de sa paroisse, le révérend Jones annonce fin juillet son intention de se livrer à un autodafé de Coran le 11 septembre, en souvenir des tristement célèbres attentats perpétrés il y a neuf ans. L'islam, dit-il, est une invention du diable. Puis, l'homme crée un groupe Facebook intitulé Burn a Koran Day, qui a aussitôt fait le plein d'amis virtuels. Les médias américains se précipitent: le Washingotn Post, CNN, la BBC, Time Magazine... Le pasteur Jones et sa minuscule communauté deviennent en quelques jours le centre de toutes les attentions de la Planète. Parce qu'un individu parle de brûler le Coran, plus de 13 000 articles sont publiés sur Internet et 34 millions de messages le concernant circulent sur le Web ! Résultat, la nouvelle se propage vite au Moyen-Orient et en Asie, où des manifestants s'en prennent aux symboles américains (et du coup, chrétiens, car dans l'esprit des islamistes, les indiens et pakistanais catholiques évangélisés par St Thomas au Ier siècle sont forcément des suppôts de Washington) en Iran, en Afghanistan, au Pakistan, en Inde. Barack Obama s'affole, car le général des forces armées US à Kaboul pointe le risque d'un embrasement religieux de la région. Le Vatican lui-même se fend d'un communiqué appelant, le pasteur moustachu réformé à revenir à la raison... L'affaire devient internationale. Finalement, Terry Jones annonce à la dernière minute devant les caméras qu'il ne brûlera aucun exemplaire du livre sacré des Musulmans. Fin de la course à la montre.

Les médias peuvent se glorifier d'une belle performance. Ou comment faire vendre les frasques du gourou d'une petite secte au monde entier. C'est que nous sommes actuellement dans une période pauvre en nouvelles fraîches, située habituellement au début de l'automne, ce que les médias anglo-saxons nomment la silly season. L'histoire du pasteur est donc une aubaine pour le marketing médiatique, car aux Etats-Unis, the show must go on !

Cet épisode arrive aussi au moment où les tensions sont vives de l'autre côté de l'Atlantique. A l'approche des élections de mi-mandat, les Mid-terms, qui renouvellent une partie des sièges du Congrès, le ton monte. Le président Barack Obama, par sa politique de compromis et son hésitation, a beaucoup déçu dans son camp, tandis que son progressisme affiché a suscité un véritable soulèvement conservateur: la mouvance des Tea Party, sorte de magma populiste mélangeant des libertariens, des républicains, des indépendants et des extrémistes de droite, qui se réclame des valeurs profondes de l'Amérique contre le gouvernement fédéral, gagne en audience de manière spectaculaire, soutenu par les médias conservateurs, dont la très peu nuancée chaîne Fox News. Or, les passions se radicalisent depuis l'affaire dite de la mosquée de Ground Zero: non loin du site des attentats du 11 septembre, un entrepreneur originaire du Moyen-Orient a obtenu l'autorisation de construire un centre culturel islamique. Tandis que le président Obama s'est félicité de ce qu'il voit comme un signe de réconciliation, la majorité des Américains perçoit ce projet comme une provocation pure et simple. Derrière les arguments en faveur de la mémoire des victimes et contre la confusion des genres, la xénophobie anti-islam se déchaîne. Ajoutez à cela le fait que 20 % des Américains ont des doutes sur l'appartenance religieuse du président (un canular lancé par l'équipe de Hillary Clinton pendant les primaires de 2008 l'a présenté comme musulman... Depuis, la rumeur est tenace dans les milieux conservteurs) et qu'on observe une inquiétude croissante de la population vis-à-vis de l'islam radical. Le 5 novembre 2009, le commandant Malik Nadal Hassan, officier de l'US Army en poste à Fort Hood, au Texas, a déclanché une fusillade au cri de "Allah est grand", tuant 13 personnes. Un incident qui avait choqué le pays entier.

Les Etats-Unis ont une vieille tradition de tolérance religieuse, qui s'explique par les fondements protestants puritains du pays, les dissenters calvinistes du Royaume-Uni débarquant au XVIIe siècle pour fonder une nouvelle terre promise où ils pourraient exercer leur culte en toute liberté. Paradoxe: cela n'a pas empêché les Américains d'être longtemps très hostiles au développement du catholicisme, car les élites White Anglo Saxon Protestants pensaient leur pays comme une patrie exclusivement réformée. Au début du XXe siècle, la sécularisation de l'Amérique urbaine, qui a culminé avec le règne de l'argent-roi des années 30, a relativisé cet héritage identitaire chrétien en mettant en avant la diversité des croyances et la neutralité de l'Etat. De nos jours encore, les Etats-Unis sont tiraillés entre le réflexe de se penser en pays protestant et la volonté de noyer les différentes religions dans un culte officiel, la Civil Religion, qui met tout le monde d'accord: la devise In God we trust a été ainsi faite pour consacrer un syncrétisme patriotique. Peu importe ce que vous croyez, l'essentiel est que vous croyez en quelque chose. La force du pays étant de réussir à brasser large pour faire tenir l'unité du melting pot. La réplique du film We were soldiers de Randall Wallace est significative ; devant ses soldats prêts à partir au Viet-nam, le colonel Moore leur lance: "Chacun choisit le nom qu'il donne au Ciel... Mormons, Juifs, Quakers: vous êtes tous Américains !" Le Dieu commun à tous, c'est la bannière étoilée.
Aujourd'hui, ce syncrétisme est mis à mal par la peur de la confrontation de l'islam et les doutes identitaires des Américains. Bien que la religion musulmane soit archi-minoritaire aux Etats-Unis, les évènements du Moyen-Orient et surtout d'Europe inquiètent les Américains, qui parlent de plus en plus d'une islamisation du Vieux continent. En mars 2009, Fox News a réalisé un reportage à Bruxelles, montrant une ville où certains musulmans réclament l'application de la Charia. Une situation qui se vérifie sur le terrain au Royaume-Uni, en Scandinavie et aux Pays-Bas, les aires d'influence américaine en Europe que Washington suit de près. Le fantasme d'une instauration de la loi coranique aux Etats-Unis conforte l'opinion publique dans sa perception conflictuelle de l'islam. De plus, la sécularisation de l'Amérique et la crainte des WASP d'être marginalisés par le catholicisme hispanique, sur fond de théorie du clash des civilisations, pousse une partie du courant conservateur, dont le Tea Party Movment est une sorte d'excroissance, à revenir aux sources de l'héritage identitaire protestant. De son côté, le lobby pro-israélien attise à sa manière la discrode en vérifiant que le schéma simpliste Occident judéochrétien vs Monde musulman (y compris l'Iran) est toujours présent dans les esprits.

L'Oncle Sam a-t-il déclaré la guerre à l'islam ? Ce n'est pas le cas, ou alors il faudrait que les Américains sortent de l'ambiguïté. Car si le ton se fait dur aux Etats-Unis, la politique étrangère américaine, elle, n'a jamais cessé de promouvoir les formes de l'islam radical dans le monde. Washington soutient toujours l'Arabie Saoudite, berceau d'Al-Qaïda, et ne semble pas décidé à retirer son appui aux régimes qui, confrontés à une contestation islamiste, favorisent paradoxalement l'islamisme pour des raisons politiques (Algérie, Yémen et surtout Pakistan). La Maison-Blanche a suscité la création de deux Etats musulmans au coeur de l'Europe, la Bosnie-Herzégovine et le Kosovo, en ayant parfaitement connaissance des conséquences géopolitiques, culturelles, religieuses. L'adhésion de la Turquie dans l'Union européenne est égalemment une vieille lune américaine, dont l'objectif est de protéger Israël contre le monde arabe musulman, très irrité par la politique de l'Etat hébreu (bénie par les Etats-Unis). Enfin, le multiculturalisme tel que Barack Obama l'a promu lors de son célèbre discours à l'université du Caire, dopé par le poids de la globalisation anglo-saxonne, contribue à susciter l'emergence d'un islam politique en Europe.


Si on observe ce panorama, il est donc très étrange d'assister à la montée d'une défiance de l'islam aux Etats-Unis. A moins que les pyromanes d'hier ne se soient changés dans l'urgence en pompiers. A moins que le but final est de faire grandir un islam archaïque pour le rallier de force à la globalisation et le noyer dans le Coca.

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