Mon innocence est ma forteresse

Marquis de Montcalm (1712- 1759).

dimanche 16 mai 2010

Le conservatisme en quête de lui-même


Au lendemain des élections régionales en France, un article mis en ligne par la Fondation de service politique déplorant la situation dramatique dans laquelle se trouvaient les différents partis, s'exclamait:"Il manque un parti conservateur". Ce souhait n'est pas nouveau, il est même profondément ancré dans une certaine société française. Chez les estampillés catholiques-donc-de-droite-bien-sentie, par exemple, un réflexe grégaire les pousse à se dire "conservateurs" à tout bout-de-champ. Rejetant l'extrémisme d'un Le Pen et l'opportunisme malsain d'un Sarkozy, ce "conservatisme" autoproclamé français, de droite, patriote, paternaliste, souverainiste, moral, incarné par Liberté politique, les Contribuables associés et le magazine BCBG Valeurs Actuelles, erre depuis une bonne décennie à la recherche d'un champion. Pour beaucoup, les bourgeois plan-plan et les paroissiens-Jaguar comme les petits artisans et commerçants respectueux de l'ordre et de l'autorité, ce fut Nicolas Sarkozy et sa "rupture", mais les indices tendent à penser que cette embellie est finie. Et comme aucune figure alternative ne se présente, certains se projettent chez ces Anglo-saxons qui fascinent tant. Eux, au moins, disposent d'une droite clairement identifiée "conservatrice", avec des labels officiels et des positions connues. Et le terme conservative en anglais, forgé par le brillant Premier ministre britannique Benjamin Disraéli au XIXe siècle, ne désigne-t-il pas la conservation des traditions et des institutions ? La conservation du bien commun ?

Le site E-deo, qui ne cache pas son militantisme catholique, et se revendique comme "portail conservateur de ré-information", est caractéristique de ce parti-pris spontané. Son mot d'ordre pour les élections britanniques était de voter pour les conservateurs, alors même que David Cameron est un libéral favorable au mariage homosexuel et tuti quanti. Sans doute nos intrépides blogueurs penchent plus vers le paléoconservatisme, une tendance du conservatisme américain attaché aux valeurs morales et familiales, que vers le "New Tory" médiatique et consensuel de Cameron, mais l'ambiguïté demeure. De fait, l'étiquette conservatrice ne semble plus pouvoir coller à ses partisans. Le conservatisme d'aujourd'hui, tel que celui qu'on va trouver chez les Anglo-saxons, est politiquement correct à souhait, esclave de la loi du marché qui détruit les barrières institutionnelles, traditionnelles et morales, et fâcheusement libéral - dans le sens américain du terme: libéral sur les questions économiques, et libéral au regard des mœurs. C'est le conservatisme de Time et de The Economist qui s'installe. Même dans un pays aussi fantasmé que les États-Unis, le conservatisme à la Ronald Reagan qui se drapait dans les valeurs morales saupoudrées du puritanisme des preachers, n'a plus la cote. La bourgeoisie chic sécularisée qui alimente les caisses électorales des Républicains est devenue beaucoup plus modérée (ou indifférente) au sujet de l'avortement et du mariage homosexuel. La série aseptisée américaine Brothers and Sisters, qui raconte les aventures d'une famille californienne très aisée républicaine - donc "conservatrice" - en est une bonne illustration: le fils aîné se marie avec son copain après être sorti avec un pasteur gay, tandis que la sœur épouse de sénateur désavoue violemment un présentateur radio caricatural obsédé par Luther et l'homosexualité. Cela se traduit par une évolution politique ; le vice-président néoconservateur de Georges W. Bush Dick Cheney et le gouverneur de Californie Arnold Schwarzenegger étaient plus ou moins du même avis que les démocrates sur les questions de l'avortement et du mariage gay. Récemment, la femme de l'ex-président Bush, qualifié en Europe d'"ultra-conservateur", Laura Bush s'est déclarée favorable au mariage entre personnes de même sexe et à l'IVG. Cette métamorphose modérée et consensuelle du conservatisme anglo-saxon peut certes lui faire gagner du poids, mais a aussi pour effet de le couper de sa base électorale, qui ne se reconnaît plus en lui. Le phénomène est particulièrement visible aux États-Unis ; devant la mollesse toute nouvelle des Républicains sur les questions de société, des franges entières du peuple conservateur se radicalisent, à l'image de la chaîne Fox News, ou s'orientent vers les initiatives post-politiques, comme le Tea Party Movment. Ce dernier, porté sur les valeurs traditionnelles de l'Amérique profonde, est l'antithèse du progressisme bon teint des élites et il semble appelé à jouer un rôle important sur la scène publique.

Si les conservateurs anglo-saxons désertent le terrain des mœurs, c'est pour mieux se jeter dans les bras de la finance. Ils font preuve par ailleurs d'une loyauté indestructible à l'État d'Israël contre le monde musulman, vouent l'Iran aux gémonies et ont applaudis la guerre d'Irak. Ces dernières orientations alimentent le scepticisme de chrétiens, comme le journaliste-blogueur Patrice de Plunkett, qui commentait en mars dernier:

Faut-il croire qu'un parti « conservateur » garantirait la continuité, ferait des réformes « allant au fond des choses » ? Mais qu'est-ce que le fond des choses, aux yeux des « conservateurs » en 2010 ? Voyez les tories anglais et le GOP américain : ultralibéralisme + « choc des civilisations » ; idéologie déstabilisatrice interne et externe ; « réformes » pour priver les pauvres de ce qui les protégeait... Ruptures, non « continuité ». Ce « conservatisme » ne conserve rien : au contraire, il est la matrice de la crise qui ravage le monde. C'est la bourgeoisie destructrice au sens du Manifeste de 1848, ce qui ne rajeunit personne.

Ajoutons à cela les prises de position résolument écolo-sceptiques adoptées par les "conservateurs" américains et surtout canadiens, qui vont pourtant à l'encontre des appels à la responsabilité lancés par le pape Benoît XVI et par la plupart des autorités religieuses réformées. Car ce qui semble gêner certains conservateurs, c'est le point de vue chrétien, la recherche du bien commun prônée par l'Évangile et qui est censé se retrouver dans la doctrine conservatrice. Mais là aussi, le conservatisme semble manquer à l'appel ; ainsi le Premier ministre canadien Stephen Harper, champion de la droite canadienne et protestant pratiquant, se moque de l'écologie et tolère un certain eugénisme latent de l'immigration canadienne (renvoi de petits trisomiques français installés à Québec, parce que "poids pour la société"), même s'il est irréprochable sur la question de l'avortement. Face à ces exemples, les électeurs chrétiens sont pris dans un choix cornélien: voter à droite, pour s'assurer du respect de la bioéthique (quoique ce n'est même plus sûr...), ou voter à gauche, pour tenter de corriger les inégalités sociales ? Pour le catholicisme, le vote de tradition modérée l'a toujours emporté sur le bulletin de vote conservateur, davantage protestant et identitaire. Historiquement, dans les pays anglo-saxons, où le protestantisme s'est identifié à la communauté nationale tandis que les catholiques étaient suspects de double allégeance vis-à-vis de Rome, ce sont les libéraux qui ont aidé le catholicisme à s'émanciper. Et on ne peut pas oublier le soucis social et égalitaire très aigu issu de la religion catholique, qui a amené ses fidèles à préférer le centre ou la gauche à la droite du marché.

Ceci dit, les choses peuvent évoluer. Devant la bonne résistance de l'Église catholique aux aléas du monde moderne et surtout sa visibilité et son influence, plus importante que toutes les congrégations protestantes réunies, les conservateurs semblent réviser lentement leur jugement. Les tories britanniques ont été les meilleurs défenseurs du pape agressé par un communiqué insultant des services du Foreign Office travailliste. Lors de son premier discours sur les marches du 10 Downing Street, David Cameron a repris plusieurs points du mémoire qui lui avait été soumis par les évêques catholiques anglais, comme... la recherche du bien commun ("the common good"), à la grande joie de l'archevêque de Westminister. Au Canada, Stephen Harper a pris des risques politiques importants en refusant de faire participer son pays au financement de l'avortement dans les pays du Tiers-Monde. Le Premier ministre canadien soutient également un
projet de loi déposé en 2007 et adopté en seconde lecture à la Chambre des Communes, qui vise à reconnaître des droits au fœtus. Ce projet législatif arrive au même moment que le congrès annuel pro-vie de Québec, en présence du cardinal Marc Ouellet. S'adressant à des Canadiens francophones inquiets pour leur identité, le prélat a rappelé que "s'il y a eu un peuple qui parlait français pendant des siècles, c'est parce qu'il y avait des familles", un peu dans la même veine que le discours des conservateurs anglophones, qui ferraillent, eux, contre les députés québécois de gauche...

Revenons en France après ce tour du monde. Que faut-il retenir ? D'abord, il s'agit de bien dissocier droite traditionnelle du conservatisme, flexible et fluctuant. Ensuite, et cela s'adresse pour les chrétiens, il s'agit de se libérer des jeux de dupes politiques, de fuir les influences culturelles et sociales pour se concentrer sur le message biblique. Celui-ci ne se présente pas à des élections, mais il reste d'actualité. Et il est révolutionnaire.

mercredi 12 mai 2010

Premier ministre, pour quoi faire ?

A la tête d'une coalition baroque entre les libéraux-démocrates et les conservateurs, David Cameron est le nouveau Premier ministre britannique, mais sa marge de manœuvre est limitée par ses propres contradictions.

C'est officiel: depuis ce matin, les conservateurs et les libéraux sont parvenus à mettre en place un gouvernement de coalition. David Cameron devient donc Premier ministre, et Nick Clegg, son adjoint en tant que Deputy Prime minister. La veille, le sortant Gordon Brown avait quitté la résidence du 10 Downing Street, avec sa femme et ses deux enfants, sous les applaudissements de la foule. Pour son départ de la scène politique, le rude écossais, sans charisme, mal dans son costume et héritier de l'héritage catastrophique de Tony Blair, a su trouver les mots qui ont touché le public. Ce fils de pasteur à l'aspect rigoureux va se consacrer aux œuvres de charities et laisse la place aux deux jeunes loups de l'échiquier. Cameron et Clegg ont certains points communs: jeunes (ils ont chacun 43 ans), télégéniques, issus du sérail, passés par les plus prestigieux établissements et dévorés par l'ambition, ces personnages partagent aussi peu ou prou la même vision conformiste de l'ère post-démocratique dominée par le marché dans laquelle nous vivons. C'est pourquoi on s'interroge légitimement: quid des disputes annoncées entre les deux nouveaux hommes forts du gouvernement britannique sur des dossiers comme l'Europe ou la réduction des déficits ?

Un des sujets qui fâchent est en effet l'Europe. Les conservateurs, héritiers de Churchill, qui grommelait à l'annonce de la signature du Traité de Rome: "We are with it, but not on it" (nous sommes avec ça, mais pas à l'intérieur), ont toujours cultivé une image eurosceptique, pour s'attirer les suffrages des électeurs anglais jaloux de l'indépendance de leur île. Les libéraux-démocrates, eux, sont moins sévères. Leur leader Nick Clegg, de mère néerlandaise et de père d'origine russe, marié à une espagnole catholique, est un européiste bon teint ; il suggère de resserrer les liens entre le Royaume-Uni et l'Union européenne et d'adopter l'euro comme monnaie nationale. David Cameron, lui, a martelé qu'il souhaitait rapatrier (on ne sait comment) des pouvoirs de Bruxelles à Londres, et s'était prononcé pour un référendum sur le Traité de Lisbonne: première promesse qu'il n'a pas tenue, et qui lui a fait perdre des voix parmi les petites gens. En outre, Cameron avait procédé en juin 2009 au retrait des conservateurs du Parti Populaire Européen, groupe au Parlement européen rassemblant les divers partis de droite et de centre-droit de l'Union, jugé trop fédéraliste et trop pro-européen, pour former un groupe dissident avec des partis polonais, tchèque et hollandais. Une initiative qui lui avait valut la reconnaissance des souverainistes de tous poils, qui pensaient trouver en lui le porte-parole des États-nations contre la technocratie de l'UE. En réalité, Cameron, en britannique, est un pragmatique. Sa ligne de conduite a toujours été dictée par son intérêt électoral et les intérêts de son pays. La Grande-Bretagne est pour une Europe capitaliste et libérale, vaste marché à ciel ouvert sans projet politique. Pour ce faire, l'adhésion de la Turquie musulmane empêcherait définitivement toute construction identitaire commune aux peuples européens. Quant à la façade eurosceptique du discours conservateur, il est payant lors des scrutins, dopé sur son aile droite par le parti UKIP de Nigel Farage, ancien député tory parti en guerre contre l'Europe, dont le mouvement, arrivé deuxième aux élections européennes de 2009, a recueilli plus de 900 000 voix lors des dernières élections législatives, soit beaucoup plus de suffrages que tous les autres tiers partis. En fait, David Cameron maintient un semblant de formalisme pour continuer à attirer l'électeur, il fustige l'Europe, fulmine contre la "Broken Britain", la société névrosée et violente que le communautarisme travailliste a produit, et promet des mesures sévères en matière de sécurité et de paix civile, mais sur le fond, il dit oui à tout et passe pour un séduisant moderniste pro-gay, open-minded et consensuel.

Simple formalisme, peu de contenu et un reste de programme en réalité très proche de celui de ses adversaires, Cameron n'est finalement que l'homme de son temps. Passons sur le fait que, comme leader d'une nation européenne, il est pieds et poings liés par Bruxelles, qui légifère désormais davantage que le Parlement de Westminster. Ce qui est aujourd'hui notable, c'est la confusion des idées et des positions qui règne aujourd'hui dans les classes politiques. Le Royaume-Uni est un bon exemple: que fait un Tony Blair, prétendument "socialiste", avec un Georges W. Bush, réputé néo-conservateur ? Et pourquoi trouve-t-on en France un Nicolas Sarkozy dit de droite avec des "progressistes" autoproclamés, Bernard Kouchner et Eric Besson en tête ? La gauche française qui tient le haut du pavé médiatique et culturel est incroyablement consensuelle et conformiste. La droite brûle ce qu'elle a adorée hier et adore la modernité comme nouvelle idole. Et pendant que fleurissent aux marges les groupuscules ou partis contestataires et marginaux, la troisième voie tant attendue est désavouée par les électeurs eux-mêmes, qui ne parviennent pas à juste titre à établir des différences. Ce qui se passe est pourtant simple: avec la marche à l'ultralibéralisme-roi, les revendications individualistes s'exacerbent, les institutions disparaissent et les convictions qui tenaient à des repères s'effondrent. Vous avez aimé l'ouverture ? Vous adorerez les combines de l'Union européennes. Ainsi le président de la Commission européenne José Manuel Barrosso, ex-maoïste devenu libéral et atlantiste, se sent aussi à l'aise avec la gauche qu'avec la droite du Parlement européen. Les eurodéputés Cohn-Bendit et Bayrou, qui se chamaillent sur les plateaux, sont dans l'hémicycle copains comme cochons, tandis que les divergences partisanes se brouillent dans le magma de la nouvelle idéologie, l'argent et les individus contre les États-nations, comme on le voit pour la Grèce.

Il faut donc s'attendre à un retour de Cameron dans le beau concert idéaliste de l'UE. Nicolas Sarkozy confiait récemment une remarque étonnement juste: "Il a commencé eurosceptique et il finira pro-européen. C'est la règle." Mais cette ultime pirouette politique ne règlera pas le scepticisme croissant des différents électorats européens. Avec des taux d'abstention catastrophiques dans toute l'Union, la démocratie représentative est en crise, sans que les élus ne songent un instant que cette crise est largement due à la nouvelle technocratie qui s'installe. Au contraire, la demande de politique n'a jamais été aussi forte, mais elle ne rencontre pas d'offre qui puisse la satisfaire. Sauf chez les mouvements populistes, qui progressent à des échelons divers, et qui tirent profit des différents désaveux populaires, du Traité constitutionnel européen trois fois rejeté, à l'interdiction des minarets approuvée. Ces derniers "coups de gueule" horrifient les élites, qui doutent encore plus de la capacité du peuple à participer aux décisions. La régression démocratique alimentant le populisme, nous sommes partis pour un bon cercle vicieux.

Lors de sa première conférence de presse, David Cameron se félicitait avec Nick Clegg n'inaugurer "une nouvelle manière de faire de la politique". Il a raison. Brader ses convictions au service du bien commun pour se rallier à la loi de la finance et du marché, c'est bien une nouvelle façon de faire de la politique. Si nous n'y prenons pas garde, elle risque de se généraliser.

12 mai 1945: libération de Saint-Nazaire


Le 11 mai 1945 à 10h, le général Junck, commandant la forteresse de Saint-Nazaire, remettait en présence du général français Chomel son arme personnelle au Major-général américain Kramer, en gage de la capitulation inconditionnelle des forces allemandes conclue le 10 mai. Le 12 mai à 3h du matin, les soldats français entrent dans Saint-Nazaire. Trois jours après la fin de la Seconde guerre mondiale, plus de 28 000 militaires allemands, dont 2 généraux et 2 amiraux, se sont rendus, avec une importante quantité d'armes et de matériel. Le conflit était bel et bien terminé en France.

mardi 11 mai 2010

Lendemain d'élection à Londres

Le 7 mai, les Britanniques se sont réveillés avec la gueule de bois. Au lendemain des élections législatives tant attendues, le Parlement ne disposait d’aucune majorité distincte ; les conservateurs étaient bien en tête, avec 306 sièges, devant le Labour Party (258), mais ils n’avaient pas la majorité absolue, tandis que les Liberals-Democrats, tout en perdant 5 sièges, restaient la troisième force parlementaire. Finalement, la percée médiatique du leader libéral Nick Clegg dans les dernières semaines de campagne n’aura été que du brouillard sans effet. Toutefois, contraints de conclure une alliance avec ce dernier pour pouvoir gouverner, les deux grands partis ont débuté les négociations officielles. Les conditions des libéraux sont celles-ci : un engagement européen plus poussif de la part du gouvernement britannique (les Lib-Dem sont des centristes modernistes plutôt favorables à l’Union européenne, une position difficile en Grande-Bretagne)et surtout, une réforme du mode actuel de scrutin, qui empêche les partis alternatifs d’être représentés. Des souhaits qui sonnent comme des diktats inadmissibles aux oreilles des conservateurs, qui sont cependant bien conscients que le pouvoir est à portée de main… Pour les conservateurs, ces résultats sonnent comme de cruels désaveux. Le brillant David Cameron avait tout misé sur une victoire éclair, mais son flou idéologique a brouillé les cartes. Assuré à l'automne d'avoir une majorité absolue aux Communes, le leader tory a payé cher son renoncement à convoquer un référendum sur le traité de Lisbonne, alors que les Britanniques étaient très attachés à cette promesse. Le Royaume-Uni demeure intrinsèquement eurosceptique - tellement eurosceptique qu'il est pour l'entrée de la Turquie, Tories et Labour confondus, ce qui tuera l'Europe, malgré l’aveuglement des eurobéats de tous poils qui nient cette évidence.

Pendant que les Tories réfléchissent, les travaillistes ramassent les morceaux, et, par formalisme, ont eux aussi appelé les libéraux à une alliance. Toujours Premier ministre sortant, Gordon Brown s’est même dit prêt à engager un référendum immédiat pour un changement de mode de scrutin. Le Labour a limité la casse grâce à la mobilisation de l’électorat d’origine immigrée, qui s’est massivement déplacé en sa faveur. En effet, une des clés de la politique sociale de Tony Blair a été de se fidéliser les leaders des différentes communautés musulmanes, hindoues, sikhs, antillaises, africaines etc. en échange d’un multiculturalisme très large et très tolérant. Tout était permis, de la burqa à la charia, en passant par les processions hindoues et les turbans sikhs, en échange de la paix sociale et du vote travailliste aux élections. Hélas, les émeutes répétées et les sanglants attentats de Londres n’ont pas amené les élites à revenir sur ce « modèle britannique ». On soupçonne d'ailleurs très sérieusement le Labour au cours de ses 13 années de règne d'avoir accéléré l'immigration de masse à des fins idéologiques et surtout électoralistes. Dans de telles conditions, on ne peut pas s’étonner de la progression, très lente, mais réelle, des partis contestataires et populistes.

La veille du scrutin, une vidéo de Bob Bailey, ex-Royal Marines et candidat du British national party, le parti d’extrême-droite, aux prises avec des jeunes de banlieue fit le tour d’Internet. Les médias hurlèrent : « un politicien fasciste frappe de jeunes asiatiques ! » (asian désigne en fait les immigrés pakistanais, qui sont aux Britanniques ce que les Turcs sont aux Allemands et les Maghrébins aux Français), mais pour le BNP, c’était un incident inespéré pour confirmer son diagnostic alarmant d’une société communautaire en faillite. Pris au piège par le scrutin uninominal à un tour, le BNP a certes échoué à gagner son premier siège, le leader du parti Nick Griffin n’arrivant qu’en troisième position dans une circonscription londonienne, ce petit parti est passé de 40 000 voix en 2001 à 600 000 aujourd'hui, soit 3 fois plus de suffrages que le Green Party et les partis unionistes irlandais, pourtant représentés.

Crée en 1982, le BNP est dirigé depuis 1999 par Nicholas ‘’Nick’’ Griffin. Son prédécesseur John Tyndall était un authentique raciste biologique, persuadé de la supériorité de la race blanche « caucasienne », et violemment antisémite ; sous sa houlette, le BNP groupusculaire était une officine améliorée du National Front, club de skinheads qui faisait la chasse aux immigrés dans les rues de l’Est londonien. Diplômé en droit de Cambridge, Nick Griffin est beaucoup plus mesuré dans ce folklore fascisant, qu’il tente timidement d’abandonner au profit d’un populisme de droite classique : depuis son arrivée à la tête du parti, le BNP ne s’attaque plus aux Juifs, aux Hindous et aux Sikhs, préférant se concentrer sur l’islam. Le titre de l’organe de presse du parti, Identity, est à lui seul un programme ; terminé la lutte de l’homme blanc de Kipling, voici le temps des défenses identitaires. Le BNP surfe sur des thèmes porteurs : l’immigration de masse, le multiculturalisme débridé, la corruption des élites et la radicalisation des communautés musulmanes britanniques. Il s’oppose à l’Union européenne et joue la carte de la guerre culturelle. Une de ses affiches de campagne pour ces élections proclamait : « What would Jesus do ? Vote BNP ! », histoire d’utiliser une référence commune dans un pays culturellement protestant et très inquiet de son avenir. Le chômage structurel, la montée des tensions communautaires et l’explosion de l’insécurité et de la criminalité dans les zones urbaines et ouvrières ont progressivement favorisé le BNP auprès d’une population anciennement de gauche qui ne se reconnaît plus dans les élites. Le 1er mai 2008, le parti fait élire son premier conseiller municipal à la Great London Assembly, et en juin 2009, Nick Griffn et Andrew Brons étaient élus députés européens.

Nick Griffin s’est attaché à donner à son parti une image présentable. Depuis sa création, seuls les « Blancs caucasiens » pouvaient militer au BNP, mais cette discrimination racialiste folklorique a fini par être abolie à la demande de son leader. Désormais, le parti compte des militants sikhs et noirs, et un conseiller municipal juif. En octobre 2009, Nick Griffin fut l’invité de l’émission télévisée de la BBC Question Time, où il s’efforça de paraître sympathique et pugnace devant un public très hostile. Mais la « dédiabolisation » a ses limites. On ne renie pas son passé, et le chef du BNP ne dissimule d’ailleurs pas ses amitiés avec le Grand sorcier du Ku Klux Klan David Duke et le suprémaciste blanc américain William Luther Pierce. Par ailleurs, l’alliance conclue entre le BNP et le Front national français horrifie les médias britanniques, qui ne connaissent de Jean-Marie Le Pen que ses dérapages antisémites. De fait, le parti fait face à une opposition unanime des partis, des syndicats et des faiseurs d’opinion. A l’instar de SOS Racisme en France avec le Front national, le groupe United Against Facism a été crée au Royaume-Uni dans le but de riposter au BNP. Chouchoutés par les médias, ces « antifascistes » se comportent pourtant comme de véritables SA. Qu’on en juge : en novembre 2008, le site du BNP fut piraté par des « hackers démocrates », sa liste de 12 000 membres fut rendue publique et des militants de l’UAF firent la chasse aux « fascistes », saccageant leurs habitations ou les marquant d’une affiche…

Le BNP reste donc pour l’instant très marginal, alors que Nick Griffin craint de se faire déborder sur sa droite par des éléments incontrôlables, comme l’English Defense League, mouvement crée spontanément en juin 2009 par des hooligans, dont la couverture médiatique et l’activisme sont disproportionné par rapport à son nombre de militants. L’EDL organise des manifestations dans les grandes villes anglaises où apparaissent des blasons de St Georges et des drapeaux anglais ; son but est officiellement de lutter contre l’instauration de la charia en Angleterre. Leur dernière action, l’occupation de la mosquée en construction à Dudley le 3 mai 2010, a été couronnée de succès, car la mairie a annulé le contrat et déplacé le chantier. Ces évènements confirment qu'il y a un réel problème sécuritaire et communautaire en Grande-Bretagne: qu'il soit rouge-orange ou orange-bleu, le nouveau gouvernement devra s'y atteler quickly !