Mon innocence est ma forteresse

Marquis de Montcalm (1712- 1759).

jeudi 25 mars 2010

La liberté de blâmer en question


"La liberté est une peau de chagrin qui rétrécit au lavage de cerveau." A l'heure d'une véritable dictature médiatique de la pensée unique qui empoisonne le débat public, jugeant l'histoire avec anachronisme et ne tolérant aucune opposition, cette citation de Henri Jeanson a conservé toute son actualité. De nos jours, le paysage audiovisuel est totalement verrouillée par une élite urbaine, relativiste et politiquement correcte qui se pavane avec satisfaction. Le paradoxe est que beaucoup des représentants de cette élite, chanteurs, actrices, essayistes, porte-parole ou avocats des communautés juive, noire ou musulmane, militants gays radicaux, philosophes autoproclamés etc. se piquent de "résistance" contre les "préjugés" et la "pensée unique"... Alors qu'ils en sont les créatures parfaites ! Leur refrain est connu, et tant à devenir parole d'évangile dans une société affamée de spectacle et de bons sentiments: le racisme est partout, l'antisémitisme est à nos portes, les religions (surtout la religion catholique) ne sont que des opinions parmi d'autres et elles sont la cause de toutes les guerres dans le monde, la France est un pays crade et xénophobe, l'Union européenne est un paradis où l'homme découvre sa véritable nature, ceux qui votent "non" à la Constitution européenne et "oui" à l'interdiction des minarets sont des monstres incultes et irresponsables, la délinquance n'existe pas dans notre pays de l'idéal républicain, il faut se porter au secours de toutes les peuplades opprimées aux quatre coins de la Terre et le social va sauver le monde.

Face à cette avalanche débridée, le journaliste et écrivain Éric Zemmour était une voix différente qui apportait un peu d'oxygène bienvenu: féru d'histoire et passionné par Napoléon, cet ancien élève de Sciences Po reçu au concours d'entrée sans la discrimination positive réservée aux jeunes de banlieues en vigueur de nos jours, fils d'immigrés israélites maghrébins, se faisait depuis plusieurs années le porte-parole d'une "télévision intelligente" alliée à une vaste culture. Réactionnaire, mais pas conservateur, car cet adjectif colle mieux selon lui à une gauche recroquevillée sur ses acquis sociaux, de droite bon teint mais pas libéral, Zemmour rentrait systématiquement en conflit avec les bobos horrifiés sur des sujets très divers. Son agressivité faisait merveille sur le plateau de On n'est pas couché le samedi soir, aux côtés de l'amoureux de la littérature Eric Naulleau ; il fallait le voir donner au bobocrate ex-maoïste Gérard Miller, qui souhaitait une bonne année aux téléspectateurs juifs, une leçon de laïcité ! Mais Zemmour finit par inquiéter. Sa suffisance agace. Sa chronique sur RTL où il massacre le dogme de l'avortement sans douleur et libérateur de la femme dérange. Les inquisiteurs de la pensée unique traquent la moindre phrase et la trouvent: "la plupart des trafiquants sont noirs et arabes... C'est un fait". Dès lors, le tocsin sonne contre l'hérétique. La saillie de Zemmour est frappée du sceau de l'infamie. Aussitôt, la machine à polémique, orchestrée par la Ligue internationale contre la racisme et l'antisémitisme (LICRA), s'emballe et le 23 mars, le patron du quotidien Le Figaro Étienne Mougeotte la convocation du journaliste pour un entretien préalable à un licenciement.

Au même moment, l'humoriste Stéphane Guillon, chroniqueur quotidien à France Inter, se moque du ministre de l'identité nationale Éric Besson, le caricaturant en fasciste rêvant d'une "France pure et blanche". L'intéressé, avec sa susceptibilité coutumière, n'apprécie pas ce qu'il considère comme une insulte personnelle et s'en prend vivement à la direction de la radio, qui présente ses plates excuses au ministre. Branle-bas de combat dans la presse: l'ingérence d'un membre du gouvernement dépasse les bornes, la censure, à les entendre, n'est pas loin. Et tandis que les journaux volent au secours de Guillon, la nouvelle du licenciement de Zemmour provoque un tollé dans la blogosphère. Les groupes de soutien au journaliste sur Facebook oscillent entre 2000 et 5000 membres, et des milliers de messages de protestations ont été envoyé à la rédaction du Figaro. Une manifestation est même organisée jeudi 25 mars au cri de "On veut plus de Zemmour" devant le siège du journal et rassemble plus de 250 personnes, des jeunes pour la plupart. En une semaine, on se redécouvre une passion pour la liberté d'expression. Alors, Zemmour-Guillon, même combat ?

Il existe pourtant une différence notable entre Eric Zemmour et Stéphane Guillon. Ce dernier est en effet le chouchou des bobos. Ses chroniques "humoristiques" ne sont qu'un ricanement perpétuel dirigé contre des cibles faciles et consensuelles : les ministres, "racistes", les prêtres, tous "pédophiles", le pape, "satanique" etc. Il a lui-même avoué lors d'un récent spectacle qu'il valait mieux critiquer les chrétiens que les musulmans, car on n'y risquait rien ; un discours que ne désavouerai pas le président de France Inter, Philippe Val, qui se mord encore les doigts d'avoir fait publier des caricatures de Mahomet à l'époque où il était à Charlie Hebdo: ses lecteurs, qui vomissent pourtant sur les curés et les nonnes au quotidien, n'avaient comme par hasard pas trouvé cela drôle et le recteur de la mosquée de Paris, l'homme des Lumières Dalil Boubakeur, avait engagé un procès retentissant contre le journal. Guillon ne prend aucun risque. Lorsqu'il compare Eric Besson à un petit nazi, il ne fait que répéter le discours officiel du politiquement correct et le fait sans finesse... et sans humour. L'irritation du ministre est une histoire personnelle entre lui et le chroniqueur, qui l'humilie régulièrement en fustigeant sa vie privée, que le méditerranéen au sang chaud Besson croit devoir défendre coup sur coup.

L'affaire Zemmour est plus sérieuse. On veut faire taire une personnalité qui semble gêner réellement ; c'est du maccarthysme dans les règles. Les supporters du journaliste se mobilisent rapidement, aidés par des poids lourds: sur son blog, l'avocat général à la cour d'appel de Paris Philippe Bilger prend la défense d'Éric Zemmour au sujet de son affirmation sur les trafiquants:

"... je propose à un citoyen de bonne foi de venir assister aux audiences correctionnelles et parfois criminelles à Paris et il ne pourra que constater la validité de ce "fait", la justesse de cette intuition qui, aujourd'hui, confirment un mouvement né il y a quelques années. Tous les noirs et tous les arabes ne sont pas des trafiquants mais beaucoup de ceux-ci sont noirs et arabes. "
Le magistrat poursuit sur une mise en garde à l'adresse du polémiste, pointant ses limites, un mépris de l'interlocuteur et une certaine suffisance, avec justesse:

"Éric Zemmour est devenu "un trublion officiel", "un fou des médias" comme il y a eu des "fous du roi", avec cette conséquence subtile mais perceptible qu'un léger contentement de soi semble l'habiter. De plus en plus, il y a dans sa démarche une alliance contradictoire entre une aspiration affichée au dialogue et un ton péremptoire. La liberté de pensée qu'heureusement il s'octroie ne va plus tout à fait jusqu'à supporter celle des autres. Dorénavant il s'écoute plus qu'il n'écoute, trop facilement ravi par sa propre mécanique. "
Et l'avocat de conclure brillamment sur sa vision de la liberté d'expression:

"...rien ne vaut la modestie d'une parole qui se cherche, s'invente et parfois même s'étonne."
Aux dernières nouvelles, Philippe Bilger a déclaré avoir été convoqué par le Procureur général pour être sorti de sa réserve... Toutefois, la mobilisation du Web fini par payer ; preuve qu'il faudra désormais compter sur cet acteur dans le débat public. Le Figaro annule l'entretien de licenciement: Zemmour aura été sauvé par ses fans. Auparavant, il a toutefois écrit une longue lettre à la LICRA, où il tente d'expliquer ses propos en argumentant: "Il y a quelques années, une enquête commandée par le ministère de la justice, pour évaluer le nombre d’imams nécessaires, évaluait le pourcentage de "musulmans dans les prisons" entre 70 et 80%. En 2004, l’islamologue Farhad Khosrokhavar, dans un livre L’islam dans les prisons ( Balland) confirmait ce chiffre." Satisfaite du tapage médiatique, la LICRA retire sa plainte. Par contre, SOS Racisme réclame toujours des sanctions. Les organisations antiracistes sont coutumières des méthodes de voyous. L'ancêtre de la LICRA, la Ligue internationale contre l'antisémitisme, a été fondée en 1927 par le journaliste Bernard Lecache pour défendre lors de son procès Samuel Schwartzbard, un terroriste anarchiste juif manipulé par l'URSS et ancien braqueur de banques, qui avait assassiné de sang-froid à Paris Simon Petlioura, leader indépendantiste ukrainien.

Il est assez désolant de voir que quelques mots maladroits sur l'immigration peuvent remplir les pages des journaux et donner à des milliers de citoyens une raison de vivre alors que des chrétiens meurent au Kosovo et que la presse n'en pipe mot. On peut cependant se consoler de voir que les Français sont attachés à la liberté de ton, même si ce n'est pas pour les mêmes raisons. Quant au Figaro, surnommé le "Daily Sarkozy" pour la proximité de sa direction avec l'Elysée et le parti-pris du journal avec la ligne du pouvoir, cette affaire est catastrophique pour sa crédibilité.

Le lendemain de l'annonce du licenciement de Zemmour, le 24 mars, entraient en vigueur au Royaume-Uni les Hate crime laws, une nouvelle législation qui vient compléter le Criminal Justice and Immigration Act voté en 2008 par la Chambre des Communes. Ces nouvelles lois visent en particulier à sanctionner les propos et actes homophobes, et ce, au détriment de la liberté d'expression. La première victime vient de tomber : le Révérend Frank Wainwright, de St Gregory's church à Cheltenhamdans, dans le Gloucestershire (à vos souhaits). En célébrant un mariage, il avait rappelé par un calembour que, selon la Bible, le mariage chrétien était entre Adam et Ève, et pas entre "Adam et Steve". Il a dû faire ses excuses afin d'éviter un procès pour homophobie. La Chambre des Lords, le sage et respecté Lord Waddington en tête, avait pourtant amendé le Criminal Justice and Immigration Act en juin 2009 afin de préserver la liberté d'expression, dont les comiques et artistes qui risquent désormais des sanctions à la moindre joke. Mais comme le démontre le blog anglais conservateur Cranmer, cette mesure risque d'être sans effet réel. La Grande-Bretagne a beau être la patrie de la liberté d'expression, le politiquement correct y est extrêmement puissant. En 2005, le gouvernement britannique avait songé à proposer une loi règlementant les critiques à l'égard des religions, dans le but de protéger les minorités musulmane, hindoue, juive et sikh. Dans un pays où la caricature féroce de l'Église anglicane, le bishop bashing, est devenu un sport national, l'opinion publique ne l'avait pas supporté et le célèbre humoriste Rowan Atkinson, alias Mr Bean, avait écrit une lettre de protestation pour défendre la liberté d'expression.

"Il y a une arme plus terrible que la calomnie, c’est la vérité" disait Talleyrand. La défense de la vérité est de plus en plus dure aujourd'hui. Pourtant, rappelait Jésus dans l'Évangile du jeudi 25 mars, "la vérité vous rendra libres" (Jn 8,32).

vendredi 5 mars 2010

Feuille de route pour le néant

La tulipe qui pousse à l'ombre des moulins verra-t-elle l'explosion des Pays-Bas ? Depuis six ans, les évènements se précipitent, brisant une à une les représentations qui faisaient la fortune du petit royaume nordique. Le 2 novembre 2004, le cinéaste Theo Van Gogh est égorgé en pleine rue par un jeune islamiste d'origine marocaine pour avoir tourné un film sur la condition des femmes selon le Coran: des imams approuvent le meurtre, des émeutes éclatent, des écoles sont brûlées... C'est la fin de la tranquillité dans les rues d'Amsterdam. Le 27 mars 2008, le médiocre brûlot Fitna est mis en ligne sur Internet par le jeune député Geert Wilders, président du Parti pour la liberté ( Partij voor de Vrijheid - PVV), qui compare le Coran à Mein Kampf et décrit l'islam comme une religion "fasciste". C'est la fin de la très large tolérance hollandaise à l'égard des musulmans. Le 20 janvier 2010, s'ouvre à Amsterdam le procès de ce même Geert Wilders, accusé "d’avoir insulté les musulmans dans leur ensemble" et "d’avoir incité à la discrimination et à la haine contre des personnes en raison de leur race ou de leur religion". Depuis 2004, date de sa démission du parti de droite libérale de Frtitz Bolkenstein, le VDD, cet ancien conseiller municipal d'Utrecht a bâti seul un combat politique avec pour objectif l'arrêt de ce qu'il appelle "l'auto-islamisation" de la Hollande. "L'islam est une religion fasciste, autoritaire et arbitraire. Quant à Mahomet, c'était un fou, un meurtrier, un pédophile, un idiot…" déclare-t-il en mai 2009 à l'envoyé du journal français Le Journal du Dimanche, qui n'en revient pas. Il n'empêche, assigner devant les juges un individu pour ses opinions, c'est la fin de la liberté d'expression chère à Spinoza. Enfin, le 20 février dernier, la coalition au pouvoir vole en éclats, et les premiers sondages donnent le PVV vainqueur des prochaines élections de juin devant le parti chrétien-démocrate (CDA) et le parti travailliste (PvdA)... C'est la fin de l'univers fantasmé des bobos.

Revenons sur cette dernière péripétie. Depuis 2006, les Pays-Bas étaient gouvernés par une coalition rassemblant les travaillistes, les chrétiens-démocrates et un petit parti protestant, l'Union chrétienne (CU), le tout chapeauté par le candide Premier ministre Jan Peter Balkende, chef du CDA, et par son ministre des Finances, Wouter Bos, leader du PvdA. En septembre 2009, ce dernier s'oppose à la poursuite de l'engagement de 2000 soldats néerlandais aux côtés des Américains en Afghanistan. La Hollande, petit État historiquement et culturellement pro-anglo-saxon, est un pays entièrement soumis à l'OTAN depuis la Seconde guerre mondiale et M. Balkende ne peut rien refuser à l'ambassadeur des États-Unis. En réalité, la question de l'Afghanistan était un prétexte. L’économie néerlandaise, qui s’appuyait sur le commerce international, s’est effondrée avec la crise. Les chrétiens-démocrates voulaient lancer une politique de rigueur assez floue, ce que refusaient les travaillistes. Résultat, l'impuissant Balkende a piteusement frappé à la porte de la reine Béatrix pour présenter sa démission et annoncer des élections anticipées pour juin prochain. Du pain béni pour Geert Wilders: depuis son succès aux européennes (17 % des voix) le président du PVV mène un patient et actif travail de sape. Déjà en mai 2009, l’hebdomadaire français Valeurs actuelles prévenait : "Si des élections avaient lieu aujourd’hui et non en mai 2011, le populiste de droite (…) aurait de sérieuses chances d’occuper le poste de Premier ministre des Pays-Bas. (…) Malgré ses déclarations à l’emporte-pièce, Geert Wilders séduit de plus en plus. Selon une étude publiée dans le magazine Vrij Nederland, 35% des personnes interrogées estiment qu’il ne va pas trop loin dans ses commentaires sur l’islam. Plus de 60% sont d’accord avec sa proposition consistant à retirer aux délinquants d’origine étrangère la nationalité néerlandaise."

Geert Wilders est une personnalité ambigüe. Issu d'un milieu catholique modeste, mais ayant rompu avec l'Église à sa majorité, il est le fruit de deux exils : son père, allemand, a fuit le nazisme en Hollande et sa mère, née aux Indes néerlandaises, a été chassée par la proclamation d’indépendance. Souriant et sympathique, il passe bien dans les médias mais n'offre pas réellement de propositions concrètes: comme Berlusconi, il affirme détenir la solution et martèle sans ciller ses arguments. Pur carriériste, à l'origine proche des milieux d'affaires, ce n'est pas un tribun d'extrême-droite : ardent défenseur de l'État d'Israël, il est fidèle au consensus social néerlandais qui promeut le mariage gay, l’avortement, la prostitution, l’euthanasie et l’homoparentalité. Mais en accusant pêle-mêle les élites de favoriser l'islamisation de l'Europe, il est clairement populiste. Aux yeux des biens-pensants, cet homme flatte les classes populaires marginalisées, selon un schéma très classique. La réalité est plus complexe: "ce n'est pas vrai du tout que Wilders recueille des voix dans les banlieues", répond Sylvain Ephimenco, journaliste franco-hollandais, qui a été pendant 20 ans correspondant du quotidien hexagonal Libération à Rotterdam. "Aujourd'hui, les électeurs de Wilders sont des gens cultivés, même si au début c'était la Hollande des classes modestes, des tatoués. Beaucoup d'universitaires et de gens de gauche votent pour lui." Grâce à une tactique habilement rodée, Geert Wilders fait l'unanimité autour de son programme anti-islam. Tous ceux qui craignent aujourd'hui la religion du Prophète s'y retrouvent. Il défend l'égalité homme-femme, vole au secours des bars homosexuels incendiés à Rotterdam par des exaltés d'Allah, et répète que lui, l'athée, préfère la culture judéo-chrétienne à la culture musulmane. Un choix doublement judicieux. D'abord parce qu'il lui permet d'attirer un certain type d'électeurs: en Hollande, pays sécularisé à l’extrême, où la religion majoritaire est le catholicisme, subsiste des communautés protestantes qui vivent dans le Bjibelgordel, la "ceinture biblique" qui traverse les Pays-Bas du Sud-Ouest au Nord-Est. Confrontés à l’afflux d’immigrés musulmans dans leurs bourgades, ces calvinistes intransigeants votent à chaque élection pour les deux petits partis protestants de l’échiquier, l’Union chrétienne (CU) et le Parti réformé néerlandais (SGP). Ce dernier a un programme simple, l’instauration d’une théocratie basée sur le Décalogue aux Pays-Bas, et cause du soucis au premier, plus modéré, qui est cependant obligé de nouer des alliances locales avec cet étrange partenaire sorti des âges les plus ténébreux de la Réforme. Aujourd'hui, avec la montée de la surenchère et des peurs, l'électorat commun du SGP et de la CU pourrait bien se rallier au PVV. Or, ces deux partis sont nécessaires pour former une coalition. Et puis, en convoquant la civilisation occidentale face à l'islam, Wilders joue la carte culturelle, ce qui est efficace ; le Hollandais moyen a perdu la foi mais se reconnaît toujours comme chrétien d'esprit. Les théoriciens néo-conservateurs américains l'ont bien compris, et placent Geert Wilders au centre de leur stratégie de rassemblement de "l'Occident judéo-chrétien": vaste fumisterie globalisée qui consacre l'alliance civilisationnelle de l'Europe, des États-Unis et d'Israël, dans laquelle l'UE et l'OTAN ne font qu'un. Ancien conseiller de George W. Bush et directeur du think-tank Middle East Forum, Daniel Pipes a récemment décrit Geert Wilders comme "l'Européen le mieux placé pour faire face au défi islamique auquel le continent est confronté. (...) le leader incontesté de ces Européens qui souhaitent conserver leur identité historique".

Mais enfin que se passe-t-il chez les Bataves ? Simplement que le modèle multiculturaliste prôné par les gouvernements successifs s'est effondré, et que les revendications du million de musulmans hollandais (sur 15 millions d'habitants), teintées de fondamentalisme, sont de plus en plus agressives. A Rotterdam, les 40 % d'habitants d'origine étrangère ont élu un fils d'imam au poste de bourgmestre, Ahmed Aboutaleb, lequel a permis l'instauration d'horaires séparées dans les piscines et a fait interdire des pièces de théâtre se moquant de Mahomet. Les musulmans ne se reconnaissent pas dans la société libérale hollandaise, tandis que les autorités déploient une série de mesures en faveur des minorités: un véritable suicide. Un monde parallèle s'est peu à peu mis en place, et sur le plan local, rien ne s'oppose à une instauration de facto de la Charia dans les zones où les musulmans sont majoritaires. L'humanisme bon teint de la gauche et l'affairisme des libéraux ont suscité un mouvement qui se retourne contre ses créateurs. C'est une nation entière avec sa conception du monde et son mode de vie qui a été sacrifiée sur l'autel de la déesse diversité. Par aveuglement ou fidélité idéologique, les classes dirigeantes néerlandaises et les différents acteurs publics n'ont pas changé d'un iota leur politique multiculturaliste. Le voile intégral ? "Concevable" selon l'ex-ministre travailliste à l'intégration. Les tests imposés aux candidats à la nationalité ? "Discriminatoires" selon Human Rights Watch et donc interdits. La protestation d'un chauffeur de bus insulté parce que chrétien par ses collègues musulmans ? "Racisme, islamophobie" etc. A trop abuser le peuple, on en arrive à l'excéder.

Tout semble donc annoncer un succès de la droite populiste. Au lendemain de l'annonce de la chute de la coalition, le quotidien Trouw, l'équivalent protestant de La Croix en Hollande ne se faisait guère d'illusions sur l'avenir:
" Les électeurs doivent maintenant se prononcer rapidement. Comme la possibilité d’une nouvelle coalition entre le CDA et le PvdA est quasiment exclue, l’éventualité d’un gouvernement avec le PVV se rapproche. Pour beaucoup, c’est une vision d’horreur. Les chefs de file du PvdA et du CDA n’ont, jusqu’à présent, pas donné l’impression d’en avoir suffisamment pris conscience. "
Rien n'est cependant moins sûr que l'arrivée au gouvernement de Wilders ou d'un de ses adjoints. L'électorat hollandais, de plus en plus volatile et abstentionniste, peut très bien abandonner le PVV le jour du scrutin. De plus, Geert Wilders restera-t-il fidèle à son discours radical s'il veut convaincre d'autres forces politiques à participer aux affaires avec lui ? En tout cas, les Pays-Bas ne semblent pas sortis de sitôt de la névrose actuelle, pris au piège dans une logique destructrice. Voltaire disait qu'il était opportun de mener le peuple à la baguette. Mais il se peut que le peuple secoue le joug qu'on lui impose, même si c'est au nom des Lumières. Après la France et la Hollande en 2005, l'Irlande en 2008 et la Suisse en 2009, partout la démocratie rejette la voie proposée par les élites autoproclamées éclairées et se jette dans les bras du populisme. Les Pays-Bas fourniront-ils un nouvel exemple de ce fossé qui se creuse entre dirigeants et dirigés ?